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L’Œil Rouge du Dragon

24 mars 2009

Chapitre XIII

Quand Radamantès de l’Ombre et le roi Boniface retrouvent les Mogoths qui rêvent alors de vengeance et d’expéditions. Parmi des constructions obscures et souterraines, Radamantès, le sorcier des Oubliés, patientait. Maintenant, seul sur son trône, ceinturé par la roideur de la roche, il sourit quand l’Ombre apparut devant lui. « Alors ? s’enquit-il auprès de la noirceur palpitante. – Il est avec lui, répondit cette dernière. Et j’ai ainsi pénétré son corps et ses pensées. J’ai vu ses rêves… – Et découvert ce que je cherchais… – Comme je l’avais espéré… » Et voici l’Ombre tournoyer devant le sorcier. Et du sombre maelström naquit de petits éclairs comme si l’impalpable fluide se craquelait. Soudain, une improbable fenêtre lumineuses s'ouvrit dans l’entité de ténèbres. Et Radamantès vit d’abominables créatures cornues, errant aux abords d’une énorme pierre noire. Et la pierre noire scellait une entrée camouflée à l’intérieur du tronc d’un vieil arbre. Et sur l’énorme pierre était gravé un œil rouge extraordinaire. « Enfin... – C’était bien lui, comme l’avait vu le maître. Je devrais m'en débarrasser tant qu’il ne s’est pas réalisé, s’éternisa la voix de l’Ombre dans la salle. – Je ne peux courir le risque que le Ciel et la Terre se lie aux autres…mais je savais que ce serait compliqué. Sait-il ce que cette pierre représente ? – Ce n’est pas ce qu’il cherche. – Bien… Je suggère d’en instruire le maître », épilogua Radamantès. Mais voici, un « pop » retentissant éclata dans la pièce. « Nous voilà ! » s’exclama le roi Boniface en se matérialisant dans la cité des Oubliés. Toutefois, son expression joviale se figea en un masque de dégoût quand il détailla son environnement. « Comment est-ce possible ? s’interrogea-t-il en caressant amoureusement son ventre. Tant de pierre, tant de gris. C’est triste, ça nous déprime », dit-il en fronçant son épais sourcil. Et le voici à présent, marmonner un curieux chant. Alors un léger sifflement, mélodie épurée, virevolta bientôt dans la pièce confinée. Et le sol à ses pieds frissonna quand surgirent de la pierre austère, des brins d’herbe verte et tendre. Enfin, épanouies dans une fabuleuse splendeur, apparurent trois fleurs. Satisfait, Boniface s’assit sur son carré de prairie, et huma longtemps le parfum des merveilleuses coupelles. Radamantès, quant à lui, demeura stupéfait de constater la facilité avec laquelle les lutins usaient des puissances de Nature. « Il aurait été plus simple que je fusse un lutin », songea-t-il un moment. Mais il se ravisa immédiatement quand il vit Boniface sautiller en caressant son ventre rond. « Tant d’effort pour votre confort », lui reprocha le sorcier alors. Et le roi des lutins interrompit sa danse. « Cela aurait été inutile si votre habitacle nous était supportable, répliqua-t-il alors. – Il est temps de rencontrer nos cavaliers, retentit l’Ombre à ce moment. – Et pour quelle autre raison croyez-vous que nous vous supportons ? – Là-bas, surveillez vos mots. Je ne voudrais pas gâcher les efforts que j’ai fait pour les retrouver, les réunir, et les convaincre de nous écouter, persifla Radamantès. – Ne vous inquiétez pas, répondit Boniface horrifié. De toute façon, je ne puis avoir une conversation avec eux, leur vue me fait horreur. – C’est moi qui leur parlerai, fit alors une voix tenue qui sortit du corps de Boniface. – Utilisons le grief que nourrissent les Mogoths envers les dragons et leurs disciples. Leur ressentiment est notre meilleur atout, est-ce bien clair ? » Sur ces mots, Radamantès, drapé de l’Ombre, sortit de la salle du trône, et s’enfonça dans le crépuscule de la Grande Galerie. Derrière l’un des monstrueux piliers, il emprunta un sinueux escalier qui s'enfonçait au plus près du cœur du Monde. Et derrière lui, trottinait Boniface sous lequel apparaissait une portion de prairie qui s’estompait peu après qu’il s’en soit éloigné. Aussi l’escalier empruntait-il un boyau étroit et sec, éclairé par la prodigieuse luminescence de la mousse qui courait sur la pierre comme des milliers d’éclairs. Dans un dernier angle, ils débouchèrent sur un vaste corridor illuminé de multiples flambeaux, et le sorcier mit son capuchon cependant que l’Ombre formait autour de lui une nébuleuse opaque. Et Boniface ne fit aucun effort pour dissimuler le sourire sarcastique affiché son visage jovial et rond. Maintenant, sur les murs gris du long couloir, les tâches lumineuses de torches attiraient d’invraisemblables limaces à la brillance chatoyante. Ils parvinrent finalement, en un lieu abandonné de tous ceux qui avaient trouvé refuge dans les méandres souterrains de l’île. Et il fut fréquent de sentir le sol vibrer subrepticement sous l’action d’une activité volcanique plus profonde encore. Et là, le temps n’était pas, et son absence se manifestait dans l’immuabilité de l’édifiant territoire. Radamantès et Boniface marchèrent longuement pour arriver là où le sol noir était craquelé de petites failles par lesquelles filtrait la lumière rougeâtre de la lave fluide. A présent, des dents de calcaire acérées les dominaient en menaçant de tomber quand les fondements du Monde se mettaient à trembler. Et voici devant eux, une table ronde, taillée dans la roche, autour de laquelle étaient disposés cinq tabourets. Et trois d’entre eux étaient occupés par des êtres colossaux. Ils portaient des oripeaux de pantalons de cuir noir comme leur peau couverte d’un curieux et sombre duvet. A leur taille pendouillaient mollement épées, poignards ou gourdins. Et leurs yeux rouges brillaient, charbons ardents noyés dans un puit d’ombre, et fixèrent un long moment les deux autres. Mais l’un des Mogoths leva la main, invitant Boniface et Radamantès à venir s’attabler à leurs côtés. Le roi des lutins leva les yeux vers son compagnon, et le sorcier, enveloppé de l’Ombre, remarqua l’herbe sous ses pieds. « Je vous préviens Boniface, pas de bêtises, l’avertit-il alors. – Mais ce sera moi », fit la seconde voix par delà le corps du roi. Et voici Radamantès observer Boniface ouvrir la bouche. Une tête flétrie au bout d’un long cou souillé de salive, sortit de sa gorge. Le frère du roi avait l’aspect répugnant d’un gros ver visqueux et brillant, lové maintenant sur le sommet de son bonnet. Orace, tel était son nom, s’ébroua longuement en faisant valser de longs filets de salive qui s’écrasèrent sur le sol où ils disparurent en vapeur. Et quand il se jugea suffisamment sec, il fixa les trois Mogoths attablés. « Parlons maintenant ! » dit-il en fronçant son unique sourcil… Un long entretient s'ensuivit, durant lequel les Mogoths demandèrent des garanties quant à l’entreprise dans laquelle Orace et Radamantès les priaient de participer. Et ce ne fut que lorsque le sorcier de l’Ombre fit allusion aux Serpentèrs et aux garouarks, qu’ils se laissèrent finalement convaincre. D’où venaient les Mogoths, aucun homme ne savait le dire, mais ils furent ceux que les Protecteurs avaient dû chasser avant de protéger les cités. Et ceux-ci étaient les derniers témoins du lien unique qui liait les Mogoths aux indicibles garouarks et aux Serpentèrs. Ainsi, lorsqu’ils souhaitèrent voir leurs futures montures, Radamantès ne put le leur refuser, devinant qu’il venait de rallier à sa cause, ces terribles guerriers. Aussi, sans plus de cérémonie, les voici quittant leur table pour parcourir encore les chemins de leur vaste territoire. Finalement, ils arrivèrent plus tard dans une salle large comme trois, où une immense fosse avait été creusée dans le sol. D’effroyables cris, déchirement de l’air, sortaient de cette dernière. Maintenant au bord de la fosse, les Mogoths contemplaient le rassemblement de deux milles Serpentèrs. Des Oubliés harnachaient encore sur les terribles oiseaux, de grosses selles de cuir bouilli noir. Et la plupart aiguisait leurs serres et bec sur la pierre et faisait naître des myriades d’étincelles, quand d’autres déployaient l’envergure impressionnante de leurs deux paires d’ailes dans un nuage de plumes d’ombre et de lumière. « A présent nous avons nos cavaliers, dit le sorcier au lutin alors qu'ils étaient restés en retrait. – Ils sont des guerriers, et le resteront jusqu’à l’extinction du dernier... – Bientôt, Mélane-Atrisse sera obligé de se réfugier dans l’abyme de l’oublie. Le jour de l’éclipse est proche… – Et alors, Nature et ses forêts seront envenimées. » Les Mogoths étaient descendus dans la volière. Devant l’attention avec laquelle les Serpentèrs étaient équipés, ils rêvèrent de ce qui serait bientôt à leur portée s’ils terrassaient les sorciers de l’O. Ils pourraient entreprendre enfin les expéditions pour les lugubres cachots de l’Autre Rive où demeuraient encore leurs compagnons. Et sur le dos de ces prodigieux oiseaux, ils se vengeraient, également, des dragons qui les avaient abandonné à une destinée qui les avait transformé…
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24 mars 2009

Chapitre XII

Quand, dans une fabuleuse cabane, le vieillard aveugle révèle sa véritable identité. Comment les compagnons de Garouhane repartent pour la cité sacrée, guidés par un sorcier. Depuis un long moment déjà, les compagnons de Garouhane suivaient le vieil aveugle qu’ils avaient rencontré à Fest-gor. Alors que le jour se levait, ils avaient quitté la bruyante cité, et cheminaient depuis dans les sous-bois qui la bordaient. Avanna qui avait repris connaissance, marchait avec l’aide du Premier. Et l’ébènien, inquiété par le paysage d’arbres bas où les fameuses dépouilles des Bâtisseurs étaient omniprésentes, finit par s’impatienter. Car le chant des oiseaux invisibles dans la pénombre suspendue entre les arbres, laissait planer une sensation d’hostilité. Aussi, à un moment, s’enquit-il auprès de leur vieux guide aux cheveux noirs qui marchait avec son dragonnet. « Dis-moi vieil homme, l’interpella-t-il, quand arriverons-nous ? Aurais-tu oublié que nous voulions nous reposer ? – Nous sommes arrivés, maître. » Effectivement, derrière trois larges arbres ombrageant plus encore cette partie de la forêt, se découvrit une cabane de bois. « C’est ici que je vis, annonça fièrement le vieil homme en avançant seul vers l’affreuse construction. – Et bien, confia doucement l'ébènien au Premier, heureusement qu’il est aveugle. – Oui, mais j’entends très bien, rétorqua l’intéressé déjà sur le seuil. Entrez, je vous en prie, les invita-t-il en ouvrant la porte qui grinça. L’intérieur était sombre, trop au goût des jeunes gens qui ne devinèrent rien de l’espace envahi d’obscurités. Pourtant, Ilim-Wàl entra dans la cabane à la suite de leur hôte, sans s’inquiéter. Son maître le suivit jusque sur le seuil. Mais des miasmes de moisissure le frappèrent violemment, et il dut contenir de dangereux vertiges alors qu’il scrutait douloureusement dans l’opacité de l’intérieur. Quelques planches craquèrent insidieusement, toutefois prenant son courage à deux mains, il pénétra dans le royaume des ombres. Et parmi l’insondable, il tourna sur lui-même sans voir son hôte ni son compagnon. « Heu…’y a pas de lumière ? finit-il par dire. – Il suffit de demander, » répondit l’aveugle invisible dans les ténèbres. Et il prononça quelques mots que seuls Avanna et le Premier comprirent depuis le palier. Et à cet instant, la lumière fut. « Ce vieux mendiant est un sorcier », songea Boucq-Meter, ébloui par ce qui apparut devant lui. Car bien plus grande qu’elle ne paraissait de l’extérieur, la cabane était également d’un autre confort que ce qu’elle laissait présager. A présent, les voici dans une coquette pièce aux murs couverts d’épaisses tapisseries brunes et grossières qui ne laissaient passer aucun courant d’air. Une table ronde faite de bois blond, reposant sur un pied unique taillé dans un cristal rouge, occupait le centre de l’espace. Le couvert pour quatre personnes y avait été dressé. Un épais tapis blanc couvrait le sol sous cette table. Et partout, des étagères supportaient une multitude d'ouvrages. Intrigué, l’ébènien prit un livre. Et une voix douce comme une brise de printemps s’en échappa quand les mots résonnèrent dans la cabane. « Intéressant », observa-t-il simplement en remettant le livre à sa place. Alors il remarqua à ce moment, l’autre pièce sur le côté. Là, un énorme fauteuil au dossier haut et accueillant, trônait en son centre. Lui faisant face, il était un immense poêle où plusieurs plats mijotaient. Le maître-au-dragon pénétra dans la pièce, et huma chaque fumet. « Mais… » fit-il alors en se tournant brusquement vers le sorcier qui ricanait. Et sans se soucier du jeune homme circonspect, le vieillard s’assit dans son fauteuil, et chauffa ses orteils écartés en éventail en les plaçant près du poêle. « Il est temps à présent, de vous fournir quelques explications », dit-il à ce moment. Il convia les jeunes gens à s’attabler, et leur servit à manger plusieurs de ses plats, sans oublier Ilim-Wàl ; mais resta près du poêle pour surveiller la cuisson de certains de ses mets. « Jadis, je fis partie d'une confrérie de sorciers. Mais cette époque s’acheva quand notre Dragon-sage s’envola pour Pelimfor. Il est le premier », se confia-t-il cependant que son regard vide se perdait dans un espace invisible. Et l’aveugle perdit le sens du temps. Mais telle la main griffue de la réalité, le Premier racla sa fourchette dans son assiette, et extirpa brusquement le vieil homme de ses profondes réflexions. Aussi, ce dernier déplaça-t-il son fauteuil de manière à se trouver face à ses invités attablés. Puis, la mine rayonnante, il s’enfonça dans son dossier. « Enfin, exhala-t-il, un sourire à demi effacé au coin des lèvres. Je fus donc un grand sorcier, jusqu’à ce que Sigùr ne prenne les chemins des esprits. Mais avant qu'il ne parte, il mit en garde notre confrérie. – Contre quoi ? lui demanda Athis. – L’Ombre devait apparaître, car ainsi l’aurait décidé le cœur des Hommes. Et Fest-gor devait être l’un des lieux où la maudite noirceur se manifesterait. Ainsi, je fus parmi les premiers à investir la cité abandonnée, n’ayant bientôt pour compagnie que l’éphémère des fêtes et l'oppression des brigands. Et bien des hommes quittèrent le monde des vivants, sans que rien n’advienne. Pourtant, il y a deux semaines, Sigùr me dicta, en songe, de guetter l’arrivée d’un maître-au-dragon. Et il me pressa de lui porter mon aide et mon savoir afin qu’il accomplisse sa mission. » Sur ces derniers mots, le vieil homme sembla englouti plus encore par le dossier de son large fauteuil. Sa gamelle vide à ses côtés, Ilim-Wàl dormait. Athis, Avanna, Boucq-Meter et l’ébènien ne cessaient de s’observer à la dérobée. Et tous, en particulier le maître-au-dragon, redoutaient la suite du récit du sorcier. D’ailleurs le vieil aveugle avait braqué son regard vide sur l’ébènien. Finalement, ce dernier réalisa que tous le regardaient. « Maître, puis-je vous poser une question ? lui demanda alors le vieil homme. – Pourquoi pas ? – Quel est votre plus vieux souvenir ? » Le maître-au-dragon se contenta d’écarquiller les yeux, sans répondre. Cependant, Avanna ne pouvait détacher son regard du sorcier. Un sentiment indescriptible sourdait en elle à mesure que le temps passait. Une sensation malveillante qui lui hérissait les poils du bras. L’Ombre était manifestement à Fest-gor à présent, et oeuvrait certainement à les retrouver. N’avaient-ils pas déjà été victimes de ses tourments à l’auberge du Cul-de-jatte Sautillant ? « Une chance qu’un sorcier de l’ancienne génération nous soit venu en aide… » songea-t-elle en regardant le vieil aveugle dans son fauteuil. Au même instant, le maître-au-dragon étouffa un cri de surprise. « (Votre dragon est l’un des innombrables fils d’Angmòk le Maudit !) » La voix du vieillard avait tonné dans son esprit. « Comment est-ce possible ? » chevrota le jeune homme sous le choc. L’aveugle enfoncé dans son large fauteuil, sourit. « Je vais vous guider vers la cité sacrée, répondit-il en se penchant. Je connais le chemin, Sigùr me l’a montré. – Mais… intervint l’apprentie sorcière. Si vous saviez pour la venue du maître-au-dragon, si vous saviez pour le retour de l’Ombre, pourquoi n’avez-vous pas prévenu le Grand Mage ? – Il est surprenant que la fille de maître An-Drena de Garouhane, n’ait pas deviné quelles sont mes intentions. Celui-ci doit se rendre à la cité d’O, peu importe les raisons. Qui suis-je pour changer ce qui doit être fait ? » demanda le sorcier en se calant à nouveau au fond de son dossier. L’ébènien se leva alors, et regarda ses compagnons. « Quand partons-nous ? demanda-t-il le cœur empli d’une nouvelle impatience. – Lorsque le soleil aura atteint son zénith », répondit le vieillard en se redressant. Tous décidèrent de se reposer, ce à quoi le sorcier les aida du mieux qu’il put. Ainsi la matinée passa rapidement. Fort de ce qu’il avait appris plus tôt, le maître-au-dragon était pressé de reprendre la route. Aussi fut-il surpris de réaliser qu’il était le dernier à se réveiller, et que tous l’attendaient déjà dehors. Et sur le seuil de la cabane, Ilim-Wàl somnolait en attendant qu’il finisse de se préparer. Le vieil homme avait rempli leurs besaces de vivres, et avait lavé leurs vêtements. Enfin paré, l’ébènien quitta la cabane enchantée. « Nous irons vers l’ouest ! » s’exclama le vieillard en s’enfonçant dans la forêt. Aujourd’hui, sa démarche était assurée comme rythmée par le chant des oiseaux invisibles dans les branches. Athis était resté à côté du maître-au-dragon, et regardait fixement les ramures ombragées des trois grands arbres sous lesquels la cabane se trouvait. Les feuilles larges cachaient obscurément ce qu’il essayait de deviner. Lorsqu’il regarda dans la même direction, l’ébènien fut attiré par un mouvement suspect dans les branchages assombris. « Tu as vu? » demanda-t-il à l’épéiste de Garouhane. Mais Athis se contenta de bougonner avant de s’éloigner en le gratifiant d’un sourire terne. Le maître-au-dragon suivit ses compagnons, son dragon à ses côtés. « Je suis certain maintenant que nous les retrouverons… » Ilim-Wàl émit un grognement d’approbation avant de frotter sa tête contre sa jambe, ce qui manqua de le faire tomber…
24 mars 2009

Chapitre XI

Quand les Stonernaïms se décident à guider les compagnons de Malvigne jusqu’aux Grandes Plaines. Maintenant, voici en des lieux stériles, là où des pierres parsemaient la terre, près d’un généreux cours d’eau, un feu qui crépitait. Et ses flammes dansaient en s’allongeant vers le ciel où la nuit se diluait pour laisser place à la journée. A côté du bûcher, se trouvaient cinq gros tas de rochers. Et non loin d'eux, trois jeunes gens étaient assis à même le sol, tandis qu’un autre y était allongé. Toutefois, quand il se réveilla plus tard, Pàris fut ravi d’avoir retrouvé ses amis. Ses pensées étaient encore engourdies, mais il nota qu’aucun lien ne les retenait prisonnier. Il remarqua les gros tas de roches près du feu quand quelque chose en eux, attira son attention. Devant les flammes dansantes, l’une des pierres au sommet d’un tas, avait bougée. Et la certitude du jumeau se transforma en terreur, lorsque ce tas tourna vers lui, une tête rocailleuse et grossière. « Ils semblent ne rien savoir pour les Oubliés et le sorcier de l'Ombre, dit Rômias à son frère quand il le vit éveillé. – Tu…tu en es sûr ? lui demanda ce dernier en massant sa tête douloureuse. – Oui. Notre venue seulement, les a perturbé. – Perturbés !? Mais…ce sont des cailloux, vivants ! – Moins fort ! Ne va pas tout compliquer parce que tu ne sais pas te taire », lui reprocha alors son frère. A côté d’eux, Hélöine regardait les flammes au loin qui éclairaient curieusement les hommes de pierres. Falisse, quant à lui, avait la mine plissée. « Mon père possède un recueil. Parmi ceux que nous ne devrions pas encore lire... avoua-t-il à ce moment. Il y était recensé les créatures primitives qui foulèrent le Monde avant l’ère de l'Humanité. Il y avait ces anciens engendrés par les premières montagnes, ceux qui se souviennent de la naissance des dragons. Ceux-ci sont cinq Stonernaïms, l’une des plus vieilles peuplades du Monde ! » fit-il en regardant chacun de ses compagnons. Et ce fut à ce moment qu’il remarqua le regard désapprobateur des jumeaux. « Tu as lu les livres de ton père ? lui demanda Rômias. – Le pouvoir semble faire l’élite, reprit amèrement Pàris. – Aucun intérêt de parler de ça maintenant, répliqua Falisse qui souhaitait épiloguer ce sujet épineux rapidement. – Crois-tu que nous ayons des raisons de nous en faire ? lui demanda alors Hélöine. – Je ne pense pas. Et…j’ai même une idée », fit-il en se levant. Maintenant debout, sa tête le fit atrocement souffrir. Cependant, encouragé par son intuition, il marcha sans crainte vers les tas de rochers qui devisaient près du feu. « Excusez-moi, messieurs, car je puis deviner votre surprise quant à notre présence sur vos terres. Laissez-moi alors, vous en expliquer les raisons », leur proposa-t-il mielleusement lorsqu’il se trouva près d’eux. Les Stonernaïms s’observèrent, surpris par la démarche du jeune homme blond habillé de vert. « Le voici, et il souhaite nous expliquer sa présence sur nos terres, dit alors le Stonernaïm le plus proche de Falisse. – Bien. Que faisons-nous ? demanda le plus petit d’entre eux. – Il serait bon de l’écouter, proposa un troisième. – Oui, ce pourrait être intéressant, reprit le premier. Et toi, qu’en penses-tu ? fit-il en interrogeant le quatrième Stonernaïm. – Hum…hum, fit ce dernier en se grattant la gorge. Je ne me suis jamais senti concerné… » Tous se tournèrent alors vers le cinquième Stonernaïm, et ses rocs grossiers étaient plus sombres. Mais dans leurs yeux à tous, grosses billes noires et brillantes, étincelait la même lueur qui resplendissait dans les lunes du ciel qui s’éclaircissait à mesure que le temps s'écoulait. Falisse se retourna vers ses compagnons qui observaient les conciliabules, perplexes. Il haussa les épaules en signe de désarrois. Jamais il ne se serait douté que sa proposition soulèverait autant de questions. « Alors ? demandèrent d’une seule voix les quatre Stonernaïms. – Ecoutons-le, dit le cinquième. – L’écouter ? reprit le plus petit. – Oui ! Il a raison, écoutons-le, fit le troisième en se tournant ver ce dernier. – Hum… » bougonna alors le quatrième. Mais tous tournèrent leur tête de pierre vers le jeune homme. Et pour manifester leur intérêt, les Stonernaïms les plus éloignés, roulèrent sur leurs pierres pour former un cercle autour de Falisse. Le jeune homme s’assit en son centre, et commença son récit. Il n’omit rien, depuis les raisons de son départ de Malvigne à sa malheureuse rencontre avec les lutins, et la découverte de la cité des Oubliés. De là où ils se trouvaient, Pàris, Rômias et Hélöine discernaient mal les réactions des tas de rochers. Les jumeaux avaient failli accourir épée en main, lorsqu'ils avaient roulé pour encercler Falisse. Mais ils s’étaient rapidement ravisés quand ils réalisèrent que leur ami ne semblait pas inquiet. Plus tard, Falisse avança vers eux, le visage évidemment satisfait. « Alors ? s’inquiéta immédiatement Hélöine. – Nous allons aux Grandes Plaines. Là-bas, nous serons rapidement conduits à la cité sacrée. – Ne devions-nous pas aller à Fest-gor ? demanda alors Rômias. – La situation est trop urgente à leur sens, pour risquer de perdre du temps. Et puis nous sommes trop éloignés des cités et des forêts, répondit Falisse embêté. – Ils n'ont pas tort », observa à son tour Pàris. Rassemblant rapidement leurs affaires, les compagnons de Malvigne rejoignirent finalement les Stonernaïms qui patientaient près du feu. « Voici Hélöine, et les jumeaux Pàris et Rômias. Les amis, voici les Stonernaïms, nos guides ! » fit Falisse cérémonieusement. Les compagnons de Malvigne s’inclinèrent respectueusement en face des Stonernaïms. « Que sont donc ces nouvelles habitudes ? chuchota discrètement le second Stonernaïm au quatrième. – C’est superflu… fit-il. – Êtes-vous prêts ? demanda un autre. – Nous vous suivons, fit Falisse. – En route ! » firent alors les Stonernaïms d’une seule voix. Subitement, les pierres de leur corps s’écroulèrent au sol en un fracas d’avalanche, et formèrent cinq agglomérats rocailleux. Ces derniers alors se mirent à rouler. Et voici que le ciel de Vétona, où les étoiles s’effaçaient lentement à la venue du soleil, drapa cette scène d’une lueur irréelle…
24 mars 2009

Chapitre X

Substitution de cristal dans une auberge hostile ; brume noire et chanson. Rencontre avec un vieillard. Durant cette nuit bruyante de Fest-gor, à l’auberge du Cul-de-jatte Sautillant, le maître-au-dragon affolé, entrait dans sa chambre en portant le corps inanimé de Hélöine. « Que s’est-il passé ? lui demanda Boucq-Meter à peine éveillé. – Elle a perdu connaissance ! – Installe-la sur ton lit ! le somma Athis. Met’ va chercher ses amis. Je descends chercher de la liqueur. Tu restes ici ! » Sans un mot, l’ébènien obéit et coucha Hélöine sur le lit. Lorsqu’il se retrouva seul en sa compagnie, il lui prit la main. Dehors la fête battait son plein, et plusieurs fois les éclats des feux d’artifice révélèrent de terrifiantes perspectives de la femme immobile. Par ailleurs, maintenant qu'il regardait se traits paisibles, son évanouissement soudain lui parut curieux. Et l’ébènien se souvint alors, des soupçons d’Athis et des propos d’Avanna. Ce fut à cet instant qu’il entendit des éclats de voix provenant d’étages inférieurs. Et quelque chose dans cette manifestation bruyante, éveilla chez lui un sentiment de panique. Mais voici, Hélöine ouvrant les yeux, se redressa sur le lit. Et le maître-au-dragon manqua de tomber de sa chaise, tellement il fut surpris. « Tu vas mieux ? » balbutia-t-il tandis qu’elle se levait. Cependant, la jeune femme resta muette et extirpa son épée de son fourreau. L’ébènien eut juste le temps de se protéger avec sa chaise, et le coup de la furie vint couper net l’un de ses pieds. A ce moment, des bruits terribles lui parvinrent de l’autre côté de la porte de sa chambre quand brusquement, celle-ci s’effondra sur le sol. Athis fit alors irruption. Il brandissait fermement son épée, et l'ébènien remarqua immédiatement sa lame ensanglantée. « Cours prévenir Avanna, je m’occupe d’elle, commanda-t-il. – Si tu y tiens... bougonna le maître-au-dragon en jetant au visage de Hélöine, la chaise qu’il tenait encore dans les mains. Et il sortit rapidement de la chambre. « A moi Garouhane ! entendit-il le Premier hurler, tandis qu’il se dirigeait vers la chambre de l’apprentie sorcière. – Il ne manquait plus que ça, marmona la jeune femme d’un ton bourru quand l’ébènien l’eut prévenu. – Boucq-Meter est en bas, vite ! » dit-il à Ilim-Wàl qui fit battre ses ailes en baillant. Et le dragonnet sortit de la pièce sur les traces de son maître. Un terrible éclat de verre brisé retentit jusque dans le couloir. A ce moment, l’épéiste apparut dans l’encadrement de la porte. « Elle a sauté », dit-il seulement quand il les vit dans le couloir. Mais trois clients de l’auberge surgirent de l’escalier, et Ilim-Wàl cracha une violente volute de flammes. Finalement, Athis et le maître-au-dragon durent enjamber leurs corps qui se tortillaient douloureusement, pour rejoindre le Premier. Maintenant la promiscuité était trop importante pour qu’Ilim-Wàl vienne en aide à son maître qui transperçait la jambe de l’aubergiste avec l’une de ses lames, tandis qu'il parait de l'autre, son coup de hachoir. Et quand Avanna les rejoignit enfin, les paroles du sort qu’elle chantait, furent couvertes par le tumulte du combat. « Ilim-Wàl, on descend ! Boucq-Meter, suis-le ! Avanna vas-y aussi. Athis et moi, on ferme la marche. Allons ! » ordonna le maître-au-dragon, en faisant siffler des coups d’épées rageurs. Le dragon croqua deux hommes qui bloquaient le passage, puis prit l’escalier en se précipitant vers la salle à manger. Dans la grande pièce, il fila derrière le comptoir, et descendit les marches qui menaient à la cuisine au sous-sol. Mais à peine y pénétra-t-il, qu’il fut capturé dans un sombre filet. Et les Répliques des jumeaux qui l’attendaient, l’assommèrent sans pitié. Avanna elle-même fut maîtrisée quand la Réplique de Pàris l’envoya contre une pile de tonneaux de vin. « Rage! » hurla le Premier en déboulant sur Rômias. Mais Pàris vint aider son jumeau, et Boucq-Meter fut assailli des deux côtés. Athis surgit finalement dans la cuisine, et se débarrassa de Pàris, d’une parade rapide et efficace. La Réplique se brisa dans un cri strident, en une multitude de cristaux. Au même instant, Falisse fit son apparition, et engagea le combat contre l’épéiste. Maintenant, ce dernier se démenait comme il pouvait, mais la Réplique faisait pleuvoir ses coups avec une force incroyable. Et l'ébènien accourait pour prêter main-forte à Boucq-Meter, quand il se retrouva soudain face à Hélöine. A cet instant, un cri strident retentit. Aux pieds du Premier, il était un tas de cristaux. Quand il vit la furie rousse face lui sourire sardoniquement, il marcha lourdement vers elle en levant sa hache. « Attends ! » le pria instinctivement l'ébènien. Mais Boucq-Meter fit tomber son arme au travers du visage de la jeune femme qui se brisa dans un cri. Au même instant, Athis se débarrassa de la Réplique de Falisse. « Quittons l’auberge, proposa le maître-au-dragon. – Avanna n’est pas bien, remarqua le Premier en soulevant le corps inerte de l'apprentie sorcière. Il faut qu’elle se repose. Tout comme votre bête », le prévint-il alors. L’ébènien découvrit seulement le pitoyable état de son compagnon. Son cou palpitait faiblement alors que sa langue de feu sortait de sa gueule. Ses ailes quant à elles, étaient sujettes à d’inquiétants tremblements. Posant sa tête sur ses jambes, l’ébènien vit ses yeux s’ouvrir timidement. Le dragonnet poussa soudainement un grognement, et redressa son cou avec vigueur. Ilim-Wàl se remit sur ses pattes et secoua ses ailes. « ( Tu vas bien ?) lui demanda son maître. (– Oui…) – Il faut trouver un endroit pour se reposer, murmura l’ébènien inquiet. – Et où veux-tu aller ? lui demanda l’épéiste agacé. – Sortons d’abord d’ici », répondit-il en observant le Premier qui portait Avanna sans connaissance. Ainsi, ils empruntèrent la porte de service qui les conduisit à l’extérieur de l’auberge, dans une ruelle nauséabonde. A son extrémité sombre, il était des poubelles que fouillait consciencieusement un vieillard misérable, esseulé. « Alors maître, que faisons-nous ? » demanda Athis avec une curieuse intonation dans la voix. Surpris, l’ébènien observa un moment l’épéiste. Et son attitude de même que son regard lui apparurent comme lors de leur rencontre au sommet du rocher de Garouhane. « Je ne sais pas, avoua-t-il cependant. Il nous faut un endroit pour se reposer en paix. – Mais ici c’est Fest-gor ! s’emporta furieusement Athis. – Aurais-tu un problème ? lui demanda l’autre en faisant un pas vers lui. – Surveille tes mouvements, l’ébènien », siffla l'épéiste en caressant le pommeau de son épée. Boucq-Meter, qui s’occupait de l’apprentie sorcière, nota bientôt le changement d’ambiance autour d’eux. La ruelle s’était assombrie et ils respiraient des relents d’événements tragiques. Délaissant Avanna, il tenta vainement de raisonner les deux hommes énervés. « Me calmer, mon frère ? Regarde autour de toi. N’est-ce pas là, notre amie inconsciente, étendue à côté de la bête infernale de cet ébènien ? N’est-ce pas depuis son arrivée, que nos vies sont en danger ? Les borcraks ! ils accompagnaient le sinistre messager, poursuivit fiévreusement Athis en pointant du doigt l’ébènien consterné. N’est-il pas un traître ? Répond donc, démon ! Que faisais-tu avec la fille aux cheveux rouges ? – Je vois… répondit le maître-au-dragon avec un rictus excédé. N’est-ce pas pour cette raison que tu as quitté ta cité ? Ne rêvais-tu pas de gloire et de combats ? » Dans son coin, là où Avanna inconsciente ne chantait plus, Ilim-Wàl vit Athis tirer son épée pour frapper son maître, et le dragonnet rugit férocement. L’ébènien, Athis et le Premier Homme, qui se retournèrent ensemble, reçurent alors frontalement une puissante volute de flammes. Hurlant de terreur, les jeunes gens tentèrent de se protéger, mais le feu qui lécha leur corps ne les brûla pas. Et bientôt, ils constatèrent que de leurs innombrables pores sortait un épais brouillard… Plus tard, Athis et l’ébènien s’excusèrent gauchement des mots qu’ils s’étaient échangés alors que leurs esprits étaient empoisonnés par la brume ensorcelée. Mais fort heureusement, leur altercation était passée inaperçue. « Moi, je puis vous aider. Si vous le désirez ! » entendirent-ils alors du fond sombre de la ruelle. Les trois hommes et le dragon constatèrent que c’était le vieillard-des-poubelles qui venait de leur adresser ces paroles. « Peut-on savoir qui vous êtes ? demanda Boucq-Meter en se dirigeant vers lui, la hache à la main. – Un pauvre aveugle qui n’intéresse personne, mais qui s’intéresse à tout, répondit l’autre en passant sa main dans d’infâmes cheveux noirs. – Du calme, Met’, fit son frère. Comment voudrais-tu nous aider, vieil homme ? demanda-t-il ensuite avec méfiance. – Vous cherchez un endroit où vous reposer. Je connais un tel lieu, maître. Si vous le désirez, je puis vous y conduire. – En l’échange de quoi ? Car je suppose que cela ne se fera pas sans contrepartie, répliqua le maître-au-dragon. – De quoi manger, si vous le pouvez. Et de la compagnie... » Quand Boucq-Meter se tourna vers Athis, ils croisèrent leurs regards dans une concertation mutuelle. « A mon avis, et il vaut ce qu’il vaut, on devrait lui faire confiance, proposa l'ébènien. – Pourquoi ça ? se renseigna alors l’épéiste. – Ce n’est qu’un mendiant… – De toute façon, on a que ça pour ce soir, et il faut qu’Avanna se repose, acquiesça Boucq-Meter. – Alors nous te suivrons, vieil homme », finit par conclure Athis. Aussi, à la suite du vieil aveugle, quittèrent-ils la sombre ruelle quand un lugubre hululement s’éleva derrière eux. Terrifiés, pas un n’osa se retourner. Près des poubelles de la ruelle qu’ils venaient de quitter, un couple de borcraks, noirs comme le sol brillant de la cité, se chamaillait…
24 mars 2009

Chapitre IX

Comment la compagnie de Malvigne parvient à s’échapper de son cachot, avant de disparaître. A présent, voici de profondes obscurités mangées par des luminescences putrides, dominant quatre prisonniers prostrés sur le sol rugueux d'un cachot lugubre et froid. Un grondement sourdait de l’un des murs de leur geôle, et avait mené leurs esprits fatigués vers de funestes idées. « Le sorcier t’as appelé Evéon tout à l’heure, remarqua Pàris à un moment en se tournant vers Falisse. – Il connaît mon nom, répondit l’autre, livide. – Mais...mais comment ? – Je m’interroge également, avoua Falisse. Mais il ne s’agit pas de moi. S’il connaît mon nom, alors l'Ombre connaît forcément le nom de mon père… » En dépit du bruit, Rômias appuyé contre le mur qui grondait, s’était assoupi. Et le sommeil l’avait conduit jusqu’à l’époque où son frère et lui étaient encore inconscients des dangers qui les guetteraient. Ainsi se vit-il suivre son père qui partait chasser avec d’autres hommes de la cité. Et il sentit à nouveau l’odeur du sous-bois à la surface mousseuse où les feuilles mortes et brunes se faisaient transpercer par de vaillantes pousses vertes. Il entendit aussi les chants des oiseaux invisibles dans le branchage fourni des arbres, tandis que la senteur fraîche des épineux de la vallée l’enivrait. Voici Malvigne, unique cité construite sur les Nouvelles Collines. La vie y était agréable et le quotidien paisible et calme. Les hommes qui la peuplaient, se souciaient peu de ce qui pouvait se passer au-delà de leurs murs, au contraire des autres cités qui avaient développé un commerce entre elles. Le bétail qui paissait dans les pâturages verts et vastes de Malvigne, leur fournissaient du lait, de la viande, du cuir et de la laine de bonne qualité et en grande quantité. Les champs de céréales étaient ensoleillés toute l’année, et les récoltes abondantes. Les forêts limitrophes leur prodiguaient le bois dont ils avaient besoin, et les mines de fer exploitées par leurs ancêtres leur avaient permis de correctement s’équiper. La prospérité de Malvigne était telle, que les autres cités l’avaient surnommée « la-bien-lotie ». La Larme, puissant cours d’eau, coupait les fortifications est de la cité. Or voici Rômias et Pàris, armés de cannes à pêche, lors d’un bel après-midi d’été qui se rendaient vers un bras de la rivière où ils étaient certains de ne pas être dérangés. Toutefois, il était précisément l’endroit que Falisse, âgé alors d’une dizaine d’années, avait choisi pour s’adonner aux plaisirs de la baignade. D’ailleurs, libre de toute entrave vestimentaire, le garçon nageait déjà dans l’eau claire de la rivière. Finalement, les jumeaux assoupis sur la berge, ne remarquèrent pas que leurs lignes avaient douloureusement piégé l’intimité d’un garçon qui hurlait. Mais fort heureusement, ce dernier réussit à se défaire des crochets qui ne lui était pas destiné. Et voici Pàris sentant à nouveau la caresse des herbes folles sur son visage, alors que son corps s’était accommodé de la mollesse du sol. Ce fut à ce moment qu’une goutte d’eau tomba sur son front. Ouvrant brusquement les yeux, il surprit au-dessus de lui, un garçon trempé et nu. Ce fut à ce moment qu’une autre goutte tomba sur son front… Pàris ne rêvait plus. Et se redressant dans la pénombre de sa cellule, il sentit sous ses doigts, ses cheveux mouillés. « De l’eau ? murmura-t-il alors en observant le mur contre lequel il s’était reposé. – Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta Rômias. – Il y a de l’eau, répondit son frère en bondissant sur ses jambes. – Et alors ? demanda Hélöine. – Ecoutez… » Et dans la pénombre crépusculaire, les quatre compagnons surprirent la conversation rauque que tenait la sentinelle postée devant la porte de leur prison. Mais sinon rien ne leur sembla particulier, pas même le grondement sourd qui leur parvenait depuis son origine profonde. A ce moment, Pàris éclata de rire, et quelque chose dans cette manifestation embarrassa ses amis. « Par l’Ordre, calme-toi donc ! lui demanda Falisse redoutant que le mal de maître Gerdre ne se soit embrasé chez l’un de ses fils en ces lieux enfouis. – Ecoutez le grondement, fit Pàris avec sérieux. Ne connaissez-vous rien de comparable? Notre Larme ? – Mais oui, réalisa alors Falisse. – Là, juste à côté de nous, se trouve une rivière souterraine. La roche doit être suffisamment érodée pour que l’eau puisse perler. Il nous suffirait peut-être de pousser sur plusieurs de ces rochers pour… – Fuir par la rivière » conclut Hélöine en s’acharnant déjà lesdites pierres. Aussi, baignés de l’atmosphère de leur prison des profondeurs de la terre, les quatre amis de Malvigne poussèrent-ils ensemble les pierres du mur le plus humide. A plusieurs reprises, les jeunes gens s’écorchèrent, pourtant leur volonté de s’échapper les mena au-delà de leur douleur. Leur espoir de fuite prit bientôt les teintes éteintes du crépuscule qui les baignait quand soudain, Hélöine trouva une pierre qui offrit une moindre résistance. Tous leurs efforts se tournèrent sur cette dernière, et finalement le pan du mur céda en découvrant une ouverture sombre par où la rivière s’introduisait dans la cellule. Toutefois, les gardes au dehors entendirent l’éboulement suivi de clapotis incroyables. Intrigués, ils ouvrirent prudemment la porte, et l’eau se déversa à leurs pieds en les empêchant d’y pénétrer. Les compagnons de Malvigne n’attendirent pas plus longtemps, et se jetèrent dans la rivière, nourrissant la folle attente que celle-ci les sorte d’affaire. Mais rester à la surface fut une épreuve épuisante, et mainte fois ils manquèrent de se noyer, car la fraîcheur de l’eau transit rapidement leurs membres. Fort heureusement, la lumière apparut enfin, éclatante comme un nouveau jour. La clarté blême des lunes sur leur front, marqua la fin de leur périple parmi les remous du sombre boyau. Ainsi, les jeunes gens nagèrent sans difficulté jusqu’à l’une des rives, et, épuisés par leur évasion hasardeuse, tous s’affalèrent sur le sable sec de la berge. Maintenant, au-dessus d’eux, le ciel brillait des milles feux des étoiles. La douceur de l’air, haleine réconfortante du Monde, était une caresse sur leur corps détrempés, et l’ivresse de la liberté si agréable qu’ils ne tardèrent pas à s’endormir. Excepté Pàris qui observait le paysage autour de lui, et ne vit rien qui puisse le rassurer. Aussi loin qu’il porta son regard, il ne dicerna rien qui ressemblât à une forêt. Seulement des pierres et des rochers, en tas ou éparpillés. Le jeune homme se tourna vers ses compagnons endormis. Déjà le vent doux de la nuit séchait leurs vêtements, et rien ne pourrait plus les tirer de leur sommeil. « Même le désert de sel de D’Elphemyte, ne ressemble pas à ça » songea-t-il en se redressant. A présent, relativement éloigné de la rivière, il observait son environnement dans la nuit claire. Le panorama restait inlassablement le même, et n’était qu’une monotonie plane, parsemée de tas de pierres. Finalement, il retourna sur ses pas. Maintenant que ses amis et lui avaient échappé aux Oubliés, ils devaient trouver la cité sacrée, et prévenir le Grand Conseil de Sorcellerie de l’existence du sorcier de l’Ombre. « J’espère qu’ils auront réussi à fuir », songea-t-il en ayant une pensée pour les compagnons de Garouhane qu'ils devaient rejoindre à Fest-gor. Mais alors qu’il passait près de l’un des amas rocailleux, il dut éviter par un incroyable réflexe, la chute de plusieurs pierres. « Et bien… » souffla-t-il en regardant les cailloux au sol avant de se remettre en marche. Mais la berge et la rivière miroitante apparaissaient devant lui quand il eut soudain la sensation que l’obscurité se faisait plus dense et noire. « Où êtes-vous ? » hurla-t-il alors dans la nuit. Car voici, là où il avait laissé ses amis, il ne se trouvait plus personne ! Et seul l’écho nocturne lui renvoya son appel. Le vent se mit à souffler, et le clapotis de la rivière devint agaçant. Soudain, près d’un gros tas de roches, une silhouette bougea dans la pénombre. Pàris s’y précipita, toutefois, il ne trouva rien de particulier, exceptés des rochers et des pierres éparpillées. Et le vent se mit à souffler. Désespéré, le jeune homme s’adossa contre le tas de roches. Absorbé par ses pensées, il ne réalisa pas que, sans un bruit, le tas contre lequel il s’était appuyé, se transformait. Finalement, ce dernier prit la forme d’un homme de pierres qui l’assomma d’un revers de la main. Le vent se mit à souffler, et tandis que Mynia et Narya l’observaient silencieusement, l’homme de pierres prit Pàris par la jambe et le traîna en aval de la rivière…
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24 mars 2009

Chapitre VIII

Des Bâtisseurs et leurs cimetières près de la bruyante Fest-gor. Quand ceux de Garouhane rencontrent ceux de Malvigne dans une auberge. Ainsi, ce fut dans les hauteurs rassurantes d’un arbre immense, que les voyageurs de Garouhane s'étaient réfugiés. Des branches épaisses et larges offraient une surface praticable sur laquelle ils se reposaient assis ou allongés. Ilim-Wàl, quant à lui, dormait dans les entrelacs de ses grosses racines. Au-dessus de lui pendaient les jambes de son maître qui mordait machinalement dans un saucisson qu’il avait emporté de son séjour chez le petit peuple des forêts. Ses pensées étaient tournées vers sa rencontre avec la jeune femme rousse dans la cellule des Oubliés. Comme le nom de Malvigne lui avait paru familier chez le Doyen, l’adorable visage de Hélöine ne lui était pas étranger… Le matin suivant, les compagnons de Garouhane traversèrent une nouvelle forêt de Vétona. Durant la période où les rayons du soleil filtraient entre les feuilles des arbres élancés et épais, ils durent traverser une clairière où n’avait poussé qu’un curieux arbuste. Haut comme un enfant, il n’était qu’un tronc droit pourvu de quatre à cinq branches sur lesquelles pendaient une ou deux longues excroissances gélatineuses. Athis, Boucq-Meter et Avanna devinrent subitement soucieux. « Sacrilège ! hurla l’apprentie sorcière en frappant d’une flèche, la main de l’ébènien qui voulait saisir l’une des choses gélatineuses. – Qu’est-ce qui te prend ? maugréa-t-il en caressant honteusement sa main gantée. – On ne touche pas les dépouilles des Bâtisseurs ! » répondit Athis effrayé. Le maître-au-dragon observa Avanna et Boucq-Meter qui restaient silencieux. Une peur palpable s’était emparée d’eux. « Les Bâtisseurs, hein ? Mais que sont-ils ? – Ils ne sont plus, lui dit Athis. Mais leurs édifices ont survécu bien après l’Alliance. Ils ont usé de la science interdite pour ériger Fest-gor. – La science interdite ? répéta l’ébènien intrigué. – Les anciens même, ne la nomment pas, répondit alors Avanna. – Ils étaient des plantes ? » reprit l’autre en désignant l’un des arbres. L’épéiste de Garouhane ne put réprimer un sourire moqueur. « Les Bâtisseurs ont été maîtres d’arcanes qui abusaient Nature. Fest-gor est une cité unique. Et la nature de leurs dépouilles, à l’image de leur savoir, reste une énigme que tout homme ne veut raisonnablement pas percer. Car il est des choses que l’Humanité se doit d’ignorer… – Quoiqu’il en soit, la présence de ces cimetières, signifie que nous approchons de la cité », fit Avanna en dépassant le maître-au-dragon. A présent, le soleil déclinait au-dessus de la forêt dans laquelle la compagnie de Garouhane marchait. Parmi les arbres de cette localité de l’Île-aux-sorciers, il était une pierre extraordinaire à la forme particulière qui s’élevait au-dessus de la canopée. Elle semblait à un titanesque pavé étiré vers le ciel, et ses quatre faces étaient percées d’une multitude d’ouvertures, où se reflétait sur des carreaux de verre, la lumière de l’astre des journées qui se couchait. Dans la forêt, à mesure qu’ils s’en rapprochèrent, les jeunes gens perçurent une clameur qui leur parvenait au-delà des arbres imposants dressés devant eux. Rapidement, ils devinèrent à côté du premier, d’autres édifices semblables mais aux dimensions moindres. « Voici donc les constructions éternelles des Bâtisseurs », songea le maître-au-dragon alors qu’ils débouchaient au devant d’une clairière qui donnait sur les fortifications de la cité. En plusieurs endroits, le mur, victime des âges, s’était effondré et avait laissé une végétation sage pénétrer là d’où s’échappaient des chants et des éclats de voix violents couverts par des musiques entraînantes. « Nous y voilà enfin ! s’exclama le Premier Homme avec un large sourire. De la bonne chair et une bonne couche. – Un bain, murmura Avanna dans son coin. Curieusement, dés l’instant où l’ébènien avait aperçu l’imposant bâtiment gris percé d’innombrable fenêtres, un indescriptible sentiment s’était emparé de lui. Et un malaise inexprimable le poussait à vouloir rester hors des murs croulants de la cité. Les clameurs et la musique qui leur parvenaient au-delà de la vieille enceinte, avaient des accents d’obscénité qui le faisait frissonner. Le ciel au-dessus de lui s’était rapidement assombri comme pour accompagner ses pensées, et les lunes en quartier partiellement masquées par des nuages effilés, éclairaient comme elles pouvaient, la porte voûtée qui faisait office d’entrée. Cependant, suivant ses compagnons de route, il passa sous l’arcade ouverte, et pénétra enfin dans Fest-gor. Mais il se figea, terrifié par le sol recouvert d’une substance noirâtre, indéfinissable, qui lui fit effroyablement penser à du sang. Car Vétona, blessée par la science interdite des Bâtisseurs, avait suppuré cet enduit durant des âges, et englué la terre où étaient édifiés les constructions cubiques et impies de ses tortionnaires. Les seuls endroits épargnés par l’abjecte noirceur, étaient des aberrations de terre battue où la végétation volontaire essayait, tant bien que mal, de prospérer en touffes d’herbe insignifiantes. Mais passé cette première surprise, ce fut la population de Fest-gor qui déconcerta l'ébènien. Une effervescence moite et malsaine régnait dans la cité. Coupe-jarrets à la mine patibulaire, voleurs, prestidigitateurs, dresseurs d’animaux, saltimbanques ou troubadours, médiums et guérisseurs, au milieu desquels se mêlaient hommes et femmes excités par les alcools ou autres concoctions d’herbes bon marché, et aveuglés par des plaisirs interdits, composaient la majorité de la population. Et des hurlements de douleur répondaient aux cris d’allégresse que poussaient certains hommes. Et la musique prenait des accents sinistres dans des lieux plus sombres que d’autres. Pourtant, son dragon et lui furent longuement dévisagés lorsqu'ils passèrent la porte voûtée. Et il en fut de même pour le Premier Homme. Et bien qu'on ne leur signifiât pas ouvertement la singularité de leur présence, ils furent tous trois observés avec incrédulité et insistance. Enfin une grande place se découvrit à eux. Des cracheurs de feu y livraient une bataille lumineuse contre des magiciens de foire qui faisaient pleuvoir des myriades de particules scintillantes, tandis que des musiciens faisaient danser les ours et les panthères des dresseurs d’animaux. Sans hésiter un instant, Athis alla vers une construction dont l’enseigne grinçante ajoutait au violon d’un vieil aveugle édenté qui faisait danser un chat tigré, des notes plus désagréables encore, que celles qu’il tentait de jouer. Dès lors que la porte du Cul-de-jatte Sautillant se referma derrière eux, l’atmosphère feutrée de l’auberge les enveloppa, et ils en furent immédiatement rassurés. Si l’extérieur de Fest-gor était resté comme les Vétoniens l’avait trouvé, l’intérieur des bâtisses qu’ils avaient investi, avait été adapté leur confort. Voici une grande salle lambrissée, au sol recouvert d’un parquet brillant qui réfléchissait les flammes de la multitude de chandelles qui brûlaient. Plusieurs tables et bancs composaient l’essentiel du mobilier, et peu de client y était attablé. Au fond de la salle se trouvait un escalier de bois ciré, éclairé par des lampes à huile. Il était un immense comptoir derrière lequel s’affairait l’aubergiste, un gros bonhomme à la mine rougie et aux traits gonflés. Derrière lui, un second escalier descendait vers ce qui semblait être la cuisine. « Vous reste-t-il deux chambres vacantes ? » lui demanda Athis en s’approchant du comptoir. Quand il vit le Premier, derrière lequel dépassait le crâne rasé de l'ébènien, à côté de qui se balançait le long cou de l'effroyable dragonnet, le gros homme hoqueta à plusieurs reprises. « Et bien ouais ! finit-il par répondre en postillonnant. J’peux même t’donner deux avec vue sur la grand’ place. Comme ça, tu pourras r’garder les feux d’artifices sans risquer de t’faire voler. Mais le dragon compte pour un. » Athis se retourna, et demanda conseil auprès de son frère. D’un regard, le Premier admit qu’était là une honnête proposition. « Entendu, dit l'épéiste un déposant trois pièces d’or sur le comptoir. Et préparez-nous un bon dîner, demanda-t-il en prenant les clefs que lui tendait le tenancier. – Pour sûr, fit ce dernier en mordant avidement dans chacune des pièces. Tout c’que vous voudrez, Messire. C’est au cinquième étage… Les couloirs qui menaient aux chambres étaient silencieux. L’odeur que dégageaient les chandeliers accrochés aux murs, était un agréable parfum empli de familiarité. Lorsque Boucq-Meter ouvrit la porte de la première chambre, il surprit un oiseau posé sur l’un des lits. Mais sa surprise mua brusquement en inquiétude. « Un borcrak ! s’exclama Athis qui regardant sous le bras de son frère, et le bouscula afin de chasser le funeste volatile. – Il faudra rester sur nos gardes, recommanda le Premier en prenant finalement possession des lieux. Pendant ce temps, Avanna escortée par le maître-au-dragon, entrait dans la chambre qui lui avait été réservée. Le mobilier de la petite pièce se composait d'un lit, une table et une chaise près de la fenêtre, une malle et un long bac à bain qui se trouvait dans un coin, derrière un paravent. « Tout semble tranquille, observa l’ébènien. – Il semblerait. – Bon et bien, comme tout va bien, je vais rejoindre les autres alors. – Enfin un bain… fit la jeune femme à côté du bac sans plus se soucier de lui. – Tu es sûre que pour Ilim-Wàl, ça ne te dérange pas ? – Vous seriez trop à l’étroit autrement. Il sera bien là, avec moi », répondit-elle en caressant le long cou du dragon qui s’était approché d’elle. Ilim-Wàl étira son corps en poussant un grondement de satisfaction, tandis que de la fumée sortait de ses narines. « (Ouvre l'œil !) » lui demanda son maître en s’éloignant dans le couloir. Boucq-Meter et Athis étaient absents quand il pénétra dans sa chambre. Cependant, sur l’une des trois couches, deux oiseaux noirs le fixaient avec insistance. Et leurs trois yeux retinrent toute son attention. Rapidement, le maître-au-dragon sentit une fatigue sournoise endormir son corps et sa volonté. Après un court instant, ses paupières se fermèrent, et il alla s’allonger près des deux oiseaux qui l’attendaient… Dans la grande salle à manger du Cul-de-jatte Sautillant, Athis et Boucq-Meter s’étaient déjà attablés. L’aubergiste avait apporté à leur table, un pichet de vin rouge, un pain chaud à la mie moelleuse et à la croûte croustillante, et du fromage afin qu’ils puissent attendre leur dîner. Alors que le Premier se servait un énième verre de vin en croquant dans un morceau de pain, la bouche pleine de fromage, Athis regardait vers l’escalier qui menait aux étages. « Je vais voir ce qu’il fabrique, dit-il à son frère en se levant. – Hum… Entendu. Je crois que je vais commencer sans vous. » Mais déjà Athis gravissait les escaliers en direction des chambres. « Dépêchez-vous ! » entendit-il hurler le Premier Homme qui tranchait dans une volaille rôtie que l’aubergiste venait à peine de déposer. Dans le couloir du cinquième étage, les chandeliers accrochés aux murs, prodiguaient une douce atmosphère. D’épais tapis étendus sur le sol, étouffaient le bruit de chacun des pas de l’épéiste. Maintenant devant la chambre qu’il partageait avec l’ébènien et son frère, le jeune homme retint sa respiration, et tendit l’oreille. Pas un bruit, comme il l'avait pressenti. Mettant la main sur la poigné de cuivre, il ouvrit timidement la porte. « Par l’Ordre… Arrière ! Arrière ! hurla-t-il en se précipitant vers les oiseaux posés sur le corps pétrifié du maître-au-dragon. – Que s’est-il passé ? demanda ce dernier libéré de l'envoûtante emprise. – Des borcraks. Porteurs de mauvais présages... C’est la seconde fois ce soir… Je ne comprends pas », fit Athis en prenant la direction de la porte. Il quitta précipitamment la pièce, laissant seul son compagnon. Quelques instants plus tard, il passa la tête par l’ouverture de la porte. « Tout va bien, Avanna finit de se préparer, et descend nous retrouver » dit-il alors. Tous deux quittèrent finalement la chambre, et rejoignirent Boucq-Meter qui dînait de bon appétit. – Où étiez-vous passé ? – Des borcraks, encore… répondit sombrement Athis. Et l’épéiste raconta au Premier, dans quelle position il avait trouvé le maître-au-dragon. « Mais que fait Avanna... ? » demanda Boucq-Meter à la fin du récit de son frère. Dans le couloir du cinquième étage, une curieuse comptine s’échappait de l’une des chambres. L’apprentie sorcière terminait de se préparer. Assise sur la malle, elle enfilait ses bottes tandis que les accents de son chant charmaient le dragonnet. Finalement, bercé par le sort d’Avanna, Ilim-Wàl s’abandonna au sommeil. Sa captivité, son évasion, ses combats, et sa blessure l’avaient épuisé. Ainsi, il ne put voir de ses yeux de dragon, les murs de l’auberge suppurer un nuage invisible et sombre. Et il ne vit pas non plus la sinistre brume repoussée autour de l’apprentie sorcière qui sortait de la pièce. Par ailleurs, plus bas dans la salle à manger, le brouillard porteur de malheurs fut également écarté autour d’Athis, du Premier et de l’ébènien… Ainsi, plus tard, laissant Avanna dîner en compagnie du maître-au-dragon, Athis, et Boucq-Meter allèrent trouver le propriétaire pour obtenir une nouvelle chambre, et glaner des informations sur la cité sacrée. « Ah tiens, c’est curieux et pas commun ça ! d’exclama le gros homme au visage rouge. J’pensais pas qu’j’avais d’telles bestioles chez moi. Et aujourd’hui, c’est la s’conde fois qu’on m’demand’ des renseignements au sujet d’cette cité ! fit l’aubergiste à Boucq-Meter. – Et peut-on savoir qui vous a demandé ces renseignements ? lui demanda Athis intrigué. – ‘Sont just’ là ! » répondit l’aubergiste en pointant son doigt épais en direction d’un coin de sa salle à manger. Il leur désignait quatre individus encapuchonnés, installés à l’une de ses tables. Et voici Athis et son frère traversant la salle à manger pour aller à la rencontre des quatre clients attablés. « Bonsoir », fit l’épéiste de Garouhane lorsqu’il se tint devant le premier des étrangers. Et ce fut Rômias se découvrit en tirant sur sa capuche. « Avanna, ce sont ceux de Malvigne ! » cria le Premier à travers la salle. Ravis, l’ébènien et la jeune femme s’empressèrent de les rejoindre. « Alors, quand êtes-vous arrivés ?» demanda Hélöine quand ils prirent place à leur table. Boucq-Meter prit l’initiative de conter leur fuite. Et aavec force détails et autres fioritures de son invention, il s’attarda longuement sur le vol à dos de dragon, ce qui fit sourire ses compagnons. Cependant, Avanna nota l’intérêt discret que portait le maître-au-dragon à la jeune femme aux cheveux rouges et cuivrés. « Pour nous c’est bien plus étrange, dit enfin Falisse. – Comment ça? lui demanda Athis. – Et pourquoi pas ? intervint le maître-au-dragon. Mais Athis lui jeta un regard noir auquel l’étranger répondit par un sourire railleur. « Je me souviens, continua Falisse, d’un paysage de miroirs. Je vois nos reflets, j’entends le cliquetis des armes ennemies... – Quelque chose est sortie…des miroirs, reprit Pàris. Et…rien… Nous nous sommes réveillés dehors, vivants. » Athis demeura circonspect. Le souvenir des borcraks dans sa chambre lui revint à l’esprit, et, observant Avanna, il remarqua son regard suspicieux à l’encontre de Hélöine. Maintenant il redoutait quelques malheurs planant au-dessus de ses compagnons et lui. Toutefois, ne voulant éveiller les soupçons de ceux dont il se méfiait, il attendit de se retrouver seul avec Boucq-Meter et l'ébènien, afin de leur faire part de son pressentiment. Aussi, bien plus tard, tandis que de la fenêtre ouverte de leur nouvelle chambre, les pétarades des feux d’artifices des sorciers de foire, ajoutaient leurs sonorités agressives au brouhaha infernal de la cité, Athis détailla-t-il ses sentiments à ses compagnons. « Hum…je suis de ton avis, avoua Boucq-Meter. – Et moi, de ne pas conclure trop vite, fit l'ébènien en s’allongeant sur l'un des lits. Car si ce que tu dis est vrai, qui sont-ils alors ? » Avanna qui les avait accompagné, fixait le maître-au-dragon. « Trop de choses sont suspectes, intervint Athis. Souvenez-vous de qui nous à proposer de nous séparer. – Hélöine, répondit machinalement l’ébènien. Mais il me semble que tu n’étais pas contre sa proposition, au contraire, se hâta-t-il d’ajouter. – Et alors ? rétorqua l’épéiste agacé. – A mon sens, nous devrions faire comme si nous ne nous étions aperçus de rien, proposa-t-il alors. Changer brusquement de comportement risquerait de les prévenir de notre méfiance. » Avanna ricana en jetant un regard glacial à l’ébènien. « Oui mais toi, pourras-tu le faire ? lui demanda-t-elle alors. – Je ne vois pas où tu veux en venir. – Sorcière ou pas, les femmes savent user de charme. Fais attention à cette Hélöine, elle ne m’inspire pas confiance, lui recommanda Avanna. – Les lutins nous ont trompés une première fois, reprit Athis. N’oublions pas les borcraks. Si l’Ombre est là, nous avons tout à redouter. » Là-dessus la conversation trouva sa conclusion, et tous gagnèrent leurs couches respectives. Plus tard dans la nuit, l'ébènien méditait les paroles d’Avanna. Et il lui fut impossible de trouver le sommeil. Après un long moment, il se redressa sur son lit, et observa ses compagnons assoupis. Puis il se leva et se rendit à la fenêtre, sans bruit. Il vit Fest-gor, bête géante aux tentacules immenses, et ses rues à la foule si dense. Il se pencha pour s’aviser de qui se trouvait devant l’entrée de l’auberge, car il entendait grincer encore, les cordes de l’instrument du vieil aveugle au chat tigré. Et le voici agréablement surpris de constater que dehors, seule parmi d’autres, se trouvait Hélöine. Celle-ci, levant la tête, le vit et lui sourit. Ainsi, tous deux se retrouvèrent dans la salle à manger de l’auberge. Cependant, tandis qu’il la regardait, l'ébènien devina des nuances dans les boucles cuivrées de la jeune femme qui avait éprouvé son cœur dans le cachot crépusculaire des Oubliés. Et son regard lui parut moins lumineux, ses lèvres moins attirantes. Mais soudain, Hélöine lui prit la main, et la garda dans les siennes, froides. Alors, tandis qu’elle lui souriait, avec plaisir et courtoisie, le jeune homme tenta de les réchauffer… Dans l’une des chambres du Cul-de-jatte Sautillant, Rômias, Pàris et Falisse ne trouvaient pas le sommeil. Leurs yeux ouverts, fixaient le plafond au-dessus d’eux quand soudain, leur corps exhalèrent une brume opaque… Et ce fut à cet instant précis que dans la salle à manger, Hélöine s’évanouit dans les bras de l'ébènien sans qu’il n’aperçoive la vapeur noire qu’elle suppurait…
24 mars 2009

Chapitre VII

Piége de cristal et terrifiantes multiplications. Quand le sorcier de l’Ombre rencontre Hélöine de Malvigne et bouleverse Falisse. Parcourant les grandes salles éloignées de la cité subvétonienne, les compagnons de Malvigne arrivèrent bientôt, en un lieu aux parois couvertes de cristaux. Tous s’arrêtèrent alors, et Pàris tendit l’oreille. Depuis un moment, il n’entendait plus le cliquetis des armes s’entrechoquant dans la course effrénée de leurs anciens geôliers. « C’est étrange, fit Hélöine en regardant les parois. – Tous ces cristaux… observa à son tour Rômias. – Il n’y a pas un bruit, renchérit Pàris. Comme abandonné, mort. – Trouvons rapidement une issue », commanda Falisse alors. Ainsi, enveloppés de mystères et de craintes, ils poursuivirent leur chemin dans ces lieux souterrains. Bientôt, Hélöine nota que les cristaux devenaient plus grands autour d’eux. Si bien qu’il leur fut rapidement possible de s’y voir entièrement. A ce moment, Falisse voulut rebrousser chemin, mais il lui fut impossible de retrouver la voie par laquelle ils étaient arrivés. Partout où ils regardaient, les jeunes gens ne voyaient que leurs reflets déformés et paniqués. « Vous avez vu ? » souffla soudainement Hélöine, en retenant un cri. Les végétaux subvétoniens prodiguaient une phosphorescence oppressante. Et, reprenant son calme, la jeune femme conclut raisonnablement qu’elle avait été trompée par le singulier éclairage et les reflets imparfaits. « Ne restons pas là… » fit Falisse. Et il conduisit ses amis plus loin encore dans le labyrinthe de cristal. Mais dans les ténèbres de leurs ombres projetées sur les parois cristallines, les compagnons de Malvigne devinèrent quelque événement terrible. Et la sérénité devint pénible, et le silence se fit pesant quand soudain, retentit le bruit d’un déchirement. « C’était quoi ça ? » s’exclama Rômias en brandissant déjà son épée. Mais tous ne virent que leurs reflets déformés, et répliqués par milliers. « Fuyons !» commanda Falisse en s’enfonçant dans la menace miroitante. Et ils coururent sans soucis du bruit, car ils ne craignaient plus les Oubliés. Ils avaient réalisé qu’ils traversaient un territoire interdit à l’Humanité. Et la créature qui avait engendré l'horreur dans laquelle ils s’étaient égarés, les terrorisait bien plus que leurs anciens geôliers. Bientôt, d’effrayants conciliabules enflèrent de tous côtés. Et les jeunes gens se figèrent alors, tenant fermement leurs épées dans leurs mains crispées. Autour d’eux, leurs reflets firent de même en réfléchissant leur frayeur. Et Rômias hurla. Alors ses compagnons se tournèrent dans sa direction. Mais ils demeurèrent muets, maintenant victimes de tremblements incontrôlables. Devant eux, sortait péniblement de l’un des cristaux, une réplique imparfaite de Rômias. « Je savais que ce n’était pas normal », chuchota alors Pàris. Et bientôt, tous furent cernés de copies informes d’eux-mêmes, créées des parois de cristal. « Qu’allons-nous faire ? » demanda Falisse. Et il ne fut pas surpris de voir Hélöine jeter son arme à terre, sitôt imitée par les jumeaux. « Il n’y a plus rien à faire, capitula Rômias. – Soyons patient, recommanda sagement Hélöine. Alors, les Répliques s’emparèrent d’eux sans qu’ils n’opposent de résistance. « Chez le sorcier ! » ordonna l’un des Falisse en conduisant son abominable armée vers la cité des Oubliés. Et Falisse frissonna d'horreur quand il vit combien ces créatures sautillantes ou boitillantes, pouvaient leur ressembler. Ainsi, ils arrivèrent plus tard au milieu de la titanesque cité subvétonienne. Là, ils passèrent dans des rues où les Oubliés les dévisagèrent d’un regard éteint. Immobiles sur le seuil de leur maison de pierres, ils demeuraient tels des statues de cires ignorées des hommes, abandonnées au temps. Ils parvinrent enfin à l’immense galerie, et déjà les Répliques les faisait pénétrer dans la salle au trône. Au milieu de la pièce, se tenait le mystérieux sorcier drapé de sa robe pourpre. « Enfin, vous me revenez », dit-il aimablement à Hélöine. L’une des Répliques donna un violent coup à ses compagnons, les forçant ainsi à s'agenouiller. « Qu’êtes-vous réellement ? » demanda la jeune femme au sorcier. Mais ce dernier se contenta de marcher de long en large dans la pièce, avant de s’arrêter devant les jumeaux. « Mes Répliques, ne sont-elles pas de merveilleuses créatures ? – Elles ont pas mal de défauts, rétorqua pourtant Pàris. –Certes, j’en conviens… Cependant, je vais envoyer des Répliques identiques aux misérables aventuriers que vous faites, à la rencontre de vos compagnons de geôle qu’ils élimineront. Et aucun disciple de l’Unique, tous terrés dans cette prétendue cité sacrée, ne saura ce que nous préparons. » A ce moment, Falisse se mit à ricaner, malgré lui. « Vous êtes bien naïf de croire que l’on ne fera pas la différence entre elles et nous », lui fit alors remarquer le jeune homme en désignant du menton la troupe grouillante et difforme qui attendait dans la Grande Galerie. Le sorcier de l'Ombre le dévisagea longuement. « Vous n’avez pas tort, lui dit-il alors. Cependant vous allez me suivre. » Le sorcier pénétra dans une pièce adjacente à la salle du trône. Les Répliques firent lever les prisonniers, et les conduisirent à la suite de leur maître. La pièce dans laquelle ils furent emmenés, était identique à la première à l’exception des deux étranges objets hauts et plats, recouverts d’un linge sombre, qui flottaient près du sol. Sept Oubliés armés les gardaient. « Imaginez ce que seront vos Répliques, si je vous plaçais en face de ce cristal-ci » dit alors le sorcier en désignant l’un des objets. Il tira sur le drap obscur, et découvrit un cristal parfaitement taillé et poli, encadré dans la pierre. Son reflet d’une précision inouïe, était une porte ouverte sur des destinations vertigineuses. « Restez raisonnable ! » conseilla le sorcier, tandis que Falisse et Rômias tentaient inutilement de fuir. A ce moment, d’un geste du bras, il suspendit Hélöine dans les airs. « Laissez-la ! Elle n’a rien fait », supplia alors Rômias. Mais le sorcier ne fit pas redescendre la jeune femme qui avait perdu connaissance. Falisse cracha à ses pieds. « Quelle espèce de sorcier étiez-vous ? Pourquoi vous être égaré dans la folie de l’Ombre ? – Mais de quelle folie parles-tu ? se défendit le sorcier en ricanant. Votre existence à la surface, n’est-elle pas une hérésie ? – Mais nous n’avons rien fait ! Nous sommes innocents, lui fit alors remarquer Falisse. – Vos pères nous ont oublié, et nos fils continuent de payer. Mais vous saurez bientôt de quoi je parle, Evéon de Malvigne. » Et à ce moment, ce ne fut pas la capuche obscure du sorcier qui pétrifia le jeune homme. « Présentez-les devant le miroir ! » ordonna-t-il finalement. Les Répliques difformes poussèrent les jeunes hommes pour les mener devant le cristal découvert. Et lorsque se fut fait, les Oubliés les assommèrent. « Menez-les à la cellule » recommanda le sorcier cependant que les gardes emportaient les corps inanimés des trois jeunes hommes. Demeuré seul dans la salle, il découvrit le second miroir…
24 mars 2009

Chapitre VI

Quand l’ébènien rencontre Hélöine de Malvigne. Fuite périlleuse dans les territoires souterrains des Oubliés. Ainsi, ils étaient huit prisonniers dans un cachot baigné d’une pénombre perturbée par des phosphorescences miasmatiques. Parmi eux, une jeune femme adossée contre l’un des murs, oppressée par la clarté crépusculaire, égarée dans ses pensées. « Le Monde s’abîme vers des aurores sombres tournées vers l’Autre Rive... Mais d’où me viennent ces images, ces sentiments qui envahissent mon esprit, mes songes ? » songea-t-elle quand son voisin, inconscient sur le sol, gémit douloureusement. La jeune femme se pencha sur lui, et tâta son front. « Il va bien… » dit-elle rassurée aux autres prisonniers. Elle s’adossa à nouveau contre la muraille froide de la cellule. « Trop de choses arrivent depuis un moment », murmura-t-elle pour elle-même tandis que ses pensées lui permettaient de revivre, les derniers événements qui l’avaient conduit à sa situation désespérée… Voici des semaines plus tôt, quand le vent charriait par les fenêtres de la cité, les senteurs fraîches des pins de la vallée. Le soleil jaunissait les épis des champs de blé, et dans les pacages, des montons tondus mangeaient cependant que d’autres bêlaient. Chez le Protecteur de Malvigne s'était tenue une assemblée privée. Son fils Falisse, accompagné de ses deux amis, les jumeaux Rômias et Pàris, fils du maître d’arme, étaient présents. Elle aussi, Hélöine, la fille orpheline du sorcier disparu, avait été conviée comme deux anciens de la riche cité. Tous s’étaient réunis dans une pièce circulaire, baignée par la lumière du soleil qui pénétrait par le dôme du toit de verre. « Le Grand Mage est le seul à pouvoir guérir nos forêts, et votre père, avait dit l'un des anciens en s’adressant aux jumeaux. – Sachez qu’Iskanobo m’est apparu dans mon sommeil », avait avoué à ce moment le sorcier. Voici une terre craquelée et stérile surmontée d’un ciel rouge, où il avait vu la monstrueuse silhouette d’une citadelle noire semblable à un terrible champignon. Sortant de son ombre, était apparu l’Inflexible Dragon-sage. Se posant devant lui dans un nuage de poussière, il lui avait dit : « Tu es à moi comme je suis en toi, mon dévoué Filleul ; ainsi sorcier et dragon sont liés. Prépare-toi et parcoure les routes du sud-est, car là-bas des voies sont ouvertes… » « Le chemin qui mène à la cité d’O, passe par le sud-est », avait alors conclu maître Hermice-desol. Depuis lors, en compagnie de Falisse et des jumeaux, elle avait marché des jours et des semaines dans d’inextricables forêts. Evitant milles dangers, surmontant milles peurs, affamés, assoiffés et désespérés, ils étaient arrivés un soir dans une merveilleuse clairière. La nuit, cette dernière leur révéla un village de lutins. Le roi les avait alors invité à partager son repas, avant de les livrer aux Oubliés qui les maintenaient prisonniers. Ses rêves incroyables et les enseignements de son père, l’avaient renseigné sur l’incroyable origine de leurs geôliers. Mais l'ébènien, inconscient auprès d’elle, l’intriguait bien plus encore. Car dès l’instant où les gardes avaient jeté son corps dans la cellule, un indéfinissable sentiment l’avait obsédé. A présent le sombre étranger étendu à ses côtés, se relevait désorienté. « Comment te sens-tu ? s’inquiéta sans le regarder la jeune femme adossée à la muraille. – Bien…je crois », répondit-il alors que sa vue s’habituait lentement à l’inquiétant crépuscule. Levant les yeux, il vit un plafond irrégulier et haut, envahi par une mousse luminescente et verdâtre, et les parois, grises et nues, de la cellule transpiraient d’une terrifiante désolation. Autour de lui, il vit d’autres détenus, et les visages de quatre d’entre eux, lui étaient inconnus. Deux hommes se ressemblaient traits pour traits. Seules la couleurs de leurs bottes les différenciaient. Malgré leur position assise, les jumeaux dégageaient une allure féline. Leur visage fermé était assombri par le noir de leurs cheveux longs. Il y avait également un troisième homme. Ses vêtements de cuir vert, et ses cheveux blonds drapant son visage fort bien fait, le faisaient sembler à une graminée sauvage. Cependant, une expression méprisante s’échappait de ses yeux mi-clos et de ses lèvres pincées. Le maître-au-dragon observa enfin la femme qui s’était préoccupée de son état de santé. Son visage qu’il distinguait à présent parfaitement, était orné de deux yeux en amande de couleur claire, habillés élégamment par les boucles rousses de ses cheveux flamboyants. Mais voici, cette femme, il était certain de l’avoir déjà vu ! Plus l’expression angélique de son sourire se gravait dans son esprit, plus il éprouva la chaleur de son regard. Et sa bouche dessinée par Nature, lui parut telle la chandelle pour le papillon. Il reluqua sans pudeur, les courbes de la jeune femme accroupie devant lui, protégés de vêtements de cuir foncé qui épousait amoureusement les formes de son corps. Et il se sentit transporté chaque fois que ses paupières s’ouvraient de nouveau pour lui permettre de la regarder. Attiré par elle comme s’il avait été prévu, dans le Grand Songe de l’Histoire des Hommes, que tous deux devaient se rencontrer, elle lui sembla être le but de sa vie, et la cause d’une agonie. Il tenta de se redresser sur ses jambes en s’aidant du mur contre lequel il s’était appuyé. Mais lorsque ses mains rencontrèrent les pierres nues et humides de la geôle, il tressaillit d’effroi. « Où sommes-nous ? demanda-t-il malgré lui. – Dans un cachot, lui dit jeune femme. Je suis Hélöine, fille de Helmygne, Protecteur de la cité de Malvigne. – En fait, ancien Protecteur ! » intervint le jeune homme en vert affalé dans un coin en retrait. À cette remarque, Hélöine baissa honteusement la tête. « Voici Pàris et Rômias, fils de notre maître d’arme Gerdre, poursuivit-elle ensuite en désignant les jumeaux. Et enfin, fit-elle avec cérémonie, notre chef d’expédition, le fils du nouveau Protecteur de la Malvigne la-bien-lotie, Falisse, conclut-elle en désignant le blond. – Et tous, nous sommes les prisonniers des Oubliés », répondit seulement ce dernier. Accablé, l'ébènien s’adossa contre le mur. Dans l’un des coins de la prison, Avanna fixait, malgré elle, le visage de Hélöine. « Il faut que l’on sorte de là. Il faut que l’on sorte de là », se répétait-elle cependant. Quand son père l'avait recueilli, il lui avait enseigné que tout était sens dans l’Ordre. Ainsi, il y avait d'abord eu la venue de l’ébènien, la veille de leur départ. Ensuite ce fut les lutins, et à présent ces êtres inconnus qui les maintenaient prisonniers. Elle repensa alors aux récits que le sorcier lui racontait lorsqu'elle était encore enfant. Elle se souvint des aventures qui jalonnaient la vie qui avait fait de lui, l’homme de pouvoir qu’il était aujourd’hui. Inconsciemment, Avanna sourit un court instant avec nostalgie. Puis finalement, son visage se figea sur une expression de ravissement. Depuis son enfance, elle avait souhaité être l’ultime fierté de l'homme qui l'avait adopté. Et elle avait trouvé dans le chant des sorts, le moyen d’y parvenir. Avec les années, son don s’était éveillé sous les leçons bienveillantes du Protecteur. Maintenant, enfermée dans cette prison, il lui parut évident que son rêve avait été exaucé. Comme l’avaient été les voyages de son père, cette aventure devait lui permettre de montrer sa valeur, et débuter, peut-être, une série qui pourrait faire d’elle, la première sorcière de la Terre Boisée ! « A Malvigne, depuis un moment, un maléfice corrompt nos forêts, fit Rômias pour engager la conversation. Les anciens ne le prirent au sérieux que lorsque le brouillard délétère des bois ravit la raison et la santé de plusieurs hommes de la cité. – Comme à Garouhane… Mais ça n’explique pas pourquoi nous sommes enfermés ! », répliqua l'ébènien avec humeur. Rômias se redressa, et s’adossa contre l’un des murs, là où la luminosité semblait plus claire. Puis, il huma l’air autour de lui comme s’il s’empreignait de l'atmosphère. « Depuis l’Alliance, bien des choses ont été oubliées, reprit-il en se penchant en avant. – De quoi parles-tu ? intervint Athis à son tour. – Tous à la surface, nous célébrons ce jour comme l’aube de la nouvelle relation entre l’Homme et Nature. Mais longtemps avant, nos ancêtres avaient pris une grave décision que nous payons aujourd’hui, lui répondit Rômias en baissant les yeux. – Mais…qu’est-ce qu’il raconte ? demanda l'ébènien. – Les Oubliés, fit Rômias en désignant la porte de la prison, étaient des hommes. Ceux, contraints par nos ancêtres, de s’exiler au plus profond du Monde, avec la promesse que l’on viendrait les trouver. Mais les âges passant, le souvenir de ces gens et leurs paroles se perdirent avec le temps. Et depuis, les Oubliés attendent de nous faire nous repentir de notre négligence… – Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? s’indigna Athis dans son coin. Je n’ai jamais entendu parler de Vétoniens ayant été forcés de s’enfoncer dans le coeur de l’île ! – Merci de me donner raison, fit le jumeau en s’adossant à nouveau contre le mur. Mais réfléchis donc... – Mais, non. C’est…impossible ! s’exclama à son tour Boucq-Meter. – C’est exactement ce que je me suis dit lorsque je vous ai vu ! intervint Falisse affalé dans son coin. Un Premier Homme vivant, à Vétona ? Impossible, puisqu’ils en sont partis et ont disparu depuis. Et l’ébènien, cet homme du Bas Du Monde... Sans vouloir te manquer de respect, précisa le jeune homme en s’adressant à l’étranger. – Je t’en prie. – L’Homme seul fixe des limites à ce qui peut être, et définit sa réalité, poursuivit Falisse en semblant s’enfoncer plus profondément dans le gris du mur. Cependant, nier les possibilités ne les annihile pas, et fort heureusement l'existence ne dépend pas de notre conscience… Les hommes sages le savent. – Sais-tu ce qu’est l’Ombre ? demanda alors Pàris au Premier. – Où veux-tu en venir ? – Ce qu’il veut dire, continua Rômias, c’est qu’il y avait un sorcier avec ceux qui ont été obligés de descendre dans les entrailles du Monde. Et qui sait ce qui s’y est passé durant tant de temps… – Les abîmes obscurs renferment les démons de l’origine du Monde, le coupa son jumeau. – Vengeance et Colère rongèrent son âme durant des âges, tant et si bien qu'il trouva l’Ombre en son cœur, reprit Rômias. – Impossible ! s’exclama Avanna en s’éveillant brutalement. On ne peut parvenir à l’Ombre. C’est humainement impossible ! – Et c’est quoi l’ombre ? demanda le maître-au-dragon. – L’Ombre est l'Homme du côté des Dénis, lui dit alors Hélöine. – Les dénis, répéta-t-il. – La Réalité impose une facette des choses. Les Dénis sont ce que la Réalité a rejeté, lui expliqua Falisse. C’est ainsi que le Monde est fait. Supposons qu’un sorcier parvienne à atteindre son alter ego des Dénis, et qu’il l'impose à la Réalité. Il devient sorcier et Ombre. Qui atteint l’Ombre, possède un pouvoir noir, nourri par l’égoïsme. – L'Ombre est l’origine du déclin de la Première Entente, reprit Pàris. – Comment ça ? demanda l'ébènien. – C’est l’Ombre qui influença les Premiers à quitter Vétona pour parcourir le Monde, lui répondit Boucq-Meter amer. – Qui sait ce que le sorcier de cette cité a rencontré dans les profondeurs de Vétona ? reprit Rômias en regardant le sol brut de la prison. N’est-ce pas en des lieux reculés et profonds que reposent les démons qui foulèrent le Monde avant notre ère ? » Il eut alors un long silence qui eut pour seule réponse la sempiternelle et étrange phosphorescence du plafond. « Notre bonne vieille île est en sursis… murmura Athis après un moment – Mais pourquoi nos forêts, et nos cités ? demanda soudainement le Premier. – Afin de briser l’Harmonie entretenue entre Nature et les hommes depuis l’Alliance, répondit Falisse. Il suffit de la corrompre, et Mélane-Atrisse s’affaiblit. – Mais…mais comment savez-vous tout ça ? demanda à nouveau le Premier Homme. – Hélöine nous a mis dans la confidence avant de partir, lui répondit Falisse. Elle a un don particulier... – C’est à la suite d’une succession d’événements que nous avons découvert cette cité », précisa la jeune femme rousse. Alors, Hélöine raconta tous les événements qui les avaient mené aux mains des Oubliés. Elle décrivit ses terribles rêves qui l’avaient instruite de l’histoire, et l’origine des Oubliés ; elle raconta la folie de son père, la maladie de maître Gerdre, le conseil de la cité, et la vision de leur sorcier. Elle leur fit également part, de leur longue errance dans les forêts, et des lutins qui les firent prisonniers. Cependant que la jeune femme faisait son récit, l'ébènien observait la porte de la cellule. Faite de pierre, consolidée de fer, rien n’aurait pu l’ébranler. « (Ecarte-toi !) » fit brusquement la voix d’Ilim-Wàl dans sa tête. Soudain, nuage de poussière et fracas de tremblement de terre quand l’un des murs de leur cellule s’effondra. Emergeant du désordre de pierres, l’horrible dragonnet apparut. Toutefois, à l'instant où Hélöine vit la bête, une indescriptible surprise secoua son esprit. « Serait-ce ton compagnon ? Es-tu un maître-au-dragon ? questionna-t-elle l’ébènien avec insistance. – J’espère que ce n’est pas un problème », lui répondit ce dernier en se précipitant dans la pièce où Ilim-Wàl avait été retenu prisonnier. Il y trouva ses lames et les armes de ses compagnons. Et tous s'équipèrent rapidement alors que le dragonnet défonçait la porte de la prison. Finalement, dans le bruit d’un terrible éboulement de pierres et de fer, la porte céda. S’extirpant de leur cellule, les jeunes gens se figèrent, stupéfaits au milieu du nuage grisâtre et vaporeux de la poussière. De gros champignons phosphorescents illuminaient un paysage sorti de songes, et lui donnaient une dimension irréelle. La cité des Oubliés s'étalait devant eux, en un enchevêtrement de ponts et d’escaliers. Une faille immense séparait la cité, au bord de laquelle les bâtiments gris et bruts étaient disposés en terrasse. « Incroyable ! Ce n’est pas possible », se répétait mécaniquement Avanna. Et de sombres et nombreux tunnels qui perçaient certaines parois, laissaient s'imaginer qu’au-delà de leur noirceur, se trouvaient d’autres édifices tout aussi titanesques que ceux qui se dressaient devant eux. Au loin, tombait une énorme chute de lave qui baignait la cité d’une atmosphère aurorale. Mais soudain, les prisonniers furent attirés par des bruits qui les firent se retourner. Et longtemps alors, ils regrettèrent d’avoir croisé le regard des créatures grandes et voûtées, vêtues de peaux suspectes, et harnachées d’armes menaçantes qui accouraient. Elles auraient pu être des hommes si leur peau n’était pas translucide. Totalement imberbes et presque chauves, leurs immenses yeux avaient la pupille dilatée et jaune. Et il en eut d’autres qui arrivèrent par l’arrière, protégées, pour certaines, d’armures de fer grinçantes et grossières. « Ne les laissez pas s’échapper ! » grésilla une voix au fond de la gorge de l’un de ceux-là. Et une douzaine d’Oubliés se précipitèrent vers les prisonniers, en brandissant leurs armes à l’acier noir et souillé. Mais le Premier Homme sourit en serrant fermement sa hachette dans les mains. Et finalement l’arme meurtrière atteignit son but quand elle se ficha dans le crâne d’un garde qui s’effondra dans un râle rauque. « Pour Garouhane ! » hurla-t-il en chargeant sur les Oubliés. Et sa hache fendit plusieurs membres et crânes avant que les autres n’arrivent pour lui prêter main forte. Toutefois, l’ébènien resta à l’écart. Attiré par leurs hurlements, il vit Athis et Falisse faire tourner leurs épées en vociférant des injures à l'encontre des Oubliés. Il put apprécier la précision des flèches d’Avanna qui se figèrent, toutes, dans la poitrine des renforts ennemis qui se précipitaient dans leur direction. Il fut surpris par la ténacité et la détermination de Hélöine qui livrait courageusement bataille. La lame de son épée, souillée par le sang vicié de ces humains dégénérés, transperçait sans égards les côtes et les poitrails à sa portée. A côté d’elle, les jumeaux combattaient singulièrement. Leurs coups étaient prompts et d’une fatale précision. Soudain, le maître-au-dragon vit accourir une troupe de gardes plus importante et menaçante. Et à la vue de leur imposante stature et de leurs sombres armures, il pressentit qu'ils prendraient le dessus. Ce furent pourtant les renforts et les premiers soldats belligérants qui détalèrent en poussant des cris de terreur, car au même instant, deux grosses boules de feu passèrent au-dessus des épaules de l’ébènien pour embraser les Oubliés qui fuyaient. « Par ici vous autres ! » cria-t-il à ses compagnons de cellule en suivant son dragon dans le dédale de la cité. A la suite de plusieurs ponts, après des centaines d’escaliers, ils virent bientôt devant eux, une muraille grande comme une montagne percée d’entrées taillées en arche. « Toi l’ébènien, où nous conduis-tu ? s'inquiéta Pàris à ce moment. – Je suis mon dragon ! » donna l’autre pour seule réponse. Cependant, Ilim-Wàl se hâtait, attiré par les issues fétides qui se découpaient sur la pierre grise. Sans hésiter, tous empruntèrent l’une des entrées, et descendirent les cinq marches qu’elle précédait, mais ils durent s’arrêter subitement, abasourdis et essoufflés. Une fabuleuse forêt de titanesques piliers de pierres, maintenait une voûte élevée au-dessus de leurs têtes. Les colonnes cyclopéennes, qui se comptaient par millier, avaient pour circonférence celle des plus gros chênes de l’Île-aux-sorciers. Chacune reposait sur une base carrée, haute comme un homme, et l'ensemble, taillé dans la roche d’un seul et même bloc, avait été consciencieusement gravé des aspérités et de la forme caractéristique de l’écorce des arbres. Une bouleversante tristesse transpirait cette forêt stérile et grise. La voûte qu'elle soutenait, envahie par une myriade de champignons luminescents, prodiguait une atmosphère indéfinissable. Et noyé dans des ténèbres surnaturelles, le fond de l’incroyable galerie ne se laissait pas deviner. Parmi les fuyards, Hélöine reprenaient son souffle en observant l’effroyable dragonnet. Et d’obscurs souvenirs refirent surface à sa mémoire. « Vous sentez-vous mal ? s’inquiéta Boucq-Meter quand il remarqua la pâleur suspecte de la jeune femme rousse. – Je…oui merci. Tout va bien », répondit-elle afin d’épiloguer. Mais il n’en était rien, elle le savait. Et les tourments de sa raison, mêlés aux pulsions de son cœur, la martyrisèrent intérieurement. « Peut-être devrions-nous nous séparer ? proposa-t-elle finalement. Convenons d’un rendez-vous. – Voyons sept nuits pour rejoindre Fest-gor. Passé ce délai, chaque groupe ira de son côté à la recherche de la cité sacrée, dit alors Athis. – C'est entendu ! acquiesça Rômias. – Puissions-nous nous retrouver au dehors. Au revoir et bon courage vous autres, fit Falisse. – Puisse l’Ordre être en votre faveur, mes amis ! » répondit le Premier en les saluant également. Au milieu de la forêt de piliers, l’ébènien était pénétré de l’inhumanité de ce qui les entourait, sans toutefois prêter d’attention à la compagnie de Malvigne qui s’éloignait. « Etrange comme endroit, non ? » dit-il alors à son dragon. Ilim-Wàl se contenta de secouer la tête en déployant ses ailes. Mais déjà devant eux, les compagnons de Garouhane partaient… La pièce était grande et nue, dépourvue de mobilier. Seul un trône sculpté dans la roche grise jaillissait de l'un des murs. Dans le fond gauche, il était un orifice grand comme une porte qui s’ouvrait sur une autre salle d’où filtrait un mystérieux halo rougeâtre. En proie à une vive agitation, un individu vêtu d’une longue et épaisse robe pourpre, parcourait la pièce. Et toujours un voile opaque et fluide lui gravitait autour. « Alors les prisonniers se sont finalement échappés, dit le sorcier. – Comme je l’avais attendu », répondit un autre, invisible. Et bien que sa voix fût identique à celle du sorcier, elle avait empli la pièce, provenant de partout et de nulle part. « Et leur sens du devoir les menera vers la cité sacrée, repère des disciples de l’Unique, reprit alors ce qui semblait être l’Ombre. – Comme tout a été patiemment planifié, se rassura le sorcier. – Pourtant Moon-téa ne doit rencontrer le Grand Mage avant de n’avoir obtenu de lui ce que je désire. La pierre est ma priorité, sinon même la Prêtresse Rouge restera chimère, gronda l’Ombre en prenant l’aspect d’un œil rouge qui flotta autour du sorcier. – Et ils pourraient périr durant leur tentative d’évasion », songea alors ce dernier en marchant de long en large dans la pièce. Et l’Ombre l’enveloppa de volutes obscures et le suivit à chacun de ses pas. « Il faut le retrouver ! » s’exclama-t-elle une dernière fois avant de se dissiper. Seul à présent, afin de méditer le sorcier alla s’asseoir sur le trône sculpté dans la roche grise qui jaillissait de l’un des murs … Bien après qu’elle eut franchi un pont sous lequel coulait une rivière incandescente, la compagnie de Garouhane parvint à une vaste salle où les stalagmites et stalactites formaient d’inextricables méandres labyrinthiques. L’atmosphère y était plus fraîche que partout ailleurs, et de rares champignons luminescents offraient leur lueur. Le temps des hommes semblait s’y être égaré, et seules les pointes des agrégats calcaires signifiaient les siècles qui passaient. Bientôt, l’ébènien constata qu’ils longeaient un sombre gouffre au fond duquel, il devinait un long serpent d’argent. « Une rivière souterraine. Mais voilà notre issue : la rivière ! » s’exclama-t-il alors que ses compagnons le toisaient. Et rapidement, il leur exposa le plan que son imagination avait précipitamment mûri. « Et ne peut-on pas suivre le cours d’eau de la falaise, simplement ? s’inquiéta le Premier. – Nous serions à découvert, et nous irons plus vite en volant », le raisonna son frère. Cependant, Ilim-Wàl était parvenu à la taille adéquate pour accueillir les quatre voyageurs sur son dos. Chacun à leur tour, les jeunes gens se hissèrent entre les ailes et le cou élancé du jeune dragon. Ses écailles, en dépit de son imposante taille, étaient restées vulnérables, et offraient une assise confortable. « On y va ! » prévint le maître-au-dragon à l’attention de ses compagnons. Et Ilim-Wàl se laissa tomber du bord du gouffre. Sa chute vertigineuse faillit arracher un cri à chacun de ses passagers lorsqu’ils virent les parois de la falaise, défiler à leurs côtés. Seul Boucq-Meter ne vit rien, car le colosse, terrifié, avait gardé les yeux fermés. Après un moment qui leur sembla l’éternité, le dragon termina son piqué en planant, ou presque, au ras de l’eau. L’ébènien leva les yeux et devina le sommet semblable à une fine bande aux reflets verdâtres, prisonnier de la cataclysmique noirceur de la roche nue. Comment avait-il pu voir la rivière au fond de cette falaise si sombre et profonde ? Brusquement, le dragon fit une dangereuse embardée, car voici de titanesques vers infestant la rivière, qui les attaquaient. Décochant des flèches qui se plantèrent dans leur corps mou, Avanna facilita comme elle put le vol du dragonnet. Boucq-Meter, quant à lui, daigna assener de redoutables coups de hache, chaque fois que l’une des créatures luisantes et muettes se présenta suffisamment près. Soudain, quelque chose siffla près de l’oreille de l'ébènien, et son dragon poussa un effroyable rugissement qui monta en ronflant vers le sommet. Une flèche était plantée entre deux de ses écailles ! Levant la tête, le maître-au-dragon devina avec effroi une troupe d’Oubliés qui les suivaient du haut de la falaise. Ces derniers sautaient de stalactites en stalagmites à la manière de singes dans des branches, et malgré cela, ils faisaient pleuvoir une myriade de flèches menaçantes. « Remonte ! » ordonna-t-il à sa bête en arrachant avec difficulté la flèche plantée. En un instant, Ilim-Wàl atteignit le sommet. Parmi les cris des Oubliés, tandis que les flèches sifflaient de tous côtés, Avanna se mit subitement à chanter. Et sa voix prit des accents harmoniques différents des chants communs. Et bientôt la mélodie de l’apprentie sorcière couvrit tous les bruits, et envahit tous les esprits. L'ébènien remarqua alors le nuage bleuté et miroitant, apparu sous le corps du dragonnet. « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria-t-il en proie à la panique. – C’est Avanna. Calme-toi ! » le rassura Athis. Partout, les Oubliés dépités, s’éloignaient en hurlant leur mécontentement. « Ils s’en vont ! se réjouit le maître-au-dragon en retournant vers le Premier. Boucq-Meter ? – Là ! » fit ce dernier en pointant du doigt vers quoi le dragon se dirigeait. Devant eux se trouvait une large passerelle sur laquelle patientaient une centaine d’Oubliés. Et voici que sous eux, ils entendirent à nouveau, les cris d’autres soldats qui se hâtaient d’arriver. « Ilim-Wàl, descends, vite ! » hurla alors l'ébènien. Le dragon piqua vers le sol en passant entre deux immenses stalagmites où étaient perchés des Oubliés. Il cracha un puissant feu sur les soldats ennemis qui tombèrent en hurlant. « Là-bas... De la lumière ! » s’exclama soudain Athis en indiquant un éboulis d’où sortait une fine tige plantée dans les ténèbres à la manière d’un fil d’or. Le dragon se posa enfin sur le sol. Naturellement, le nuage de protection d’Avanna, couvrit leurs têtes. Et les flèches ennemies sifflèrent autour d’eux sans les inquiéter. Alors Ilim-Wàl s’acharna contre la muraille en faisant voler scories et cailloux quand sa queue cognait la paroi. Et des « boom… boom » ronflèrent comme des tambours de guerre quand la poussière s’éleva tandis que tombaient les pierres. Peu à peu, la roche s’effrita, agrandissant le trou salvateur qu’avait aperçu l'épéiste. Le Premier tenta vainement de s’y engouffrer, mais trop étroit pour sa stature, il laissa sortir Avanna qui continuait de chanter. Ilim-Wàl assura leur fuite quand il cracha sur leurs assaillants, des boules de feu qui les embrasèrent férocement. Cependant son maître se faufilait par le trou, suivi de près par Athis. Boucq-Meter quant à lui, assenait sur la paroi, de puissants coups d’épaule pour déloger une énorme pierre qui l’empêchait de sortir. Après maints efforts, celle-ci s’effondra dans un fracas assourdissant. Voici alors un faisceau de lumière qui absorba l’obscurité, et fit définitivement fuir les Oubliés qui se dispersèrent en poussant gémissements et hurlements...
24 mars 2009

Chapitre V

Quand la troupe de Garouhane est conviée à un banquet dans la fabuleuse clairière du roi Boniface. Entrevue inquiétante dans une sombre caverne. Depuis d’innombrables heures et des jours peut-être, Athis, Avanna, Boucq-Meter, l'ébènien et son dragon s’étaient égarés dans les volutes d’un brouillard froid et épais. Par ailleurs, dès lors que leurs besaces furent dépouillées par de mystérieuses créatures, une fatigue pernicieuse les avait accablés. Mais voici, tandis que de sombres égarements les menaient à penser qu’ils erreraient à jamais en dehors des sentiers de la fabuleuse forêt, ils firent brusquement irruption en un lieu magnifié d'un enchantement naturel. Les arbres qui isolaient la clairière de la forêt possédaient un tronc à l’écorce blanche, et des feuilles semblables à de petits écus d’or. Entendez les oiseaux chanter ! Et des petits rongeurs gambadaient dans l’herbe veloutée, et parsemée de pâquerettes roses, rouges et violettes. D’agréables parfums embaumaient l’air de cette période tardive de la journée ; la voûte céleste était une palette bleue à l’est, et orangée vers l’ouest. Voyez les lunes phosphorescentes telles deux gigantesques assiettes ! Et voici cinq gros papillons de nuit s’envoler allégrement quand les voyageurs levèrent les yeux au ciel. Ce fut par ailleurs à cet instant qu’ils réalisèrent combien leur marche interminable avait été éprouvante, et méritaient de se reposer. « Nous resterons ici pour passer la nuit, commanda le Premier. – N’est-ce pas curieux que cette partie de la forêt ne soit pas envahie par tout ce…toute cette…enfin, derrière nous ? s’inquiéta l'ébènien. – Profitons de l’éveil des jumelles pour établir notre campement », reprit Boucq-Meter sans prêter attention au maître-au-dragon. Plus tard, tandis que ces derniers rôtissaient un gibier chassé par Avanna, Athis et l’apprentie sorcière conversaient à l’écart de leur bivouac. « Regarde ces fleurs. Toutes ensemble forment des motifs, observa l’épéiste en s’accroupissant. – Je n’en avais jamais vu de telles auparavant, fit son amie en se penchant au-dessus de lui. Je me demande ce qu’elles sont, dit-elle en cueillant une fleur violette et blanche. – L'ébènien n'a pas tort. Qui sait ? Nous pourrions être sur le territoire de quelque créature aux mauvaises intentions. – La marche a été longue et la nuit tombe. Mangeons, dormons afin que demain, dès le lever du soleil, nous partions reprendre notre chemin », le raisonna Avanna en mettant la fleur dans ses cheveux. Depuis, la viande grillée avait agrémenté l’atmosphère d’une odeur de convivialité. La fortune avait voulu que le maître-au-dragon trouve des plantes aromatiques qui poussaient dans la clairière, et que Boucq-Meter découvre également des légumes sauvages ; et tous deux en avaient composé leur maigre dîner. Toutefois, malgré l’heureuse aubaine, Athis demeura inquiet durant toute la soirée. Plus tard, couché sur le tapis fleuri de la mystérieuse clairière, le jeune homme tentait de s’endormir, et une faim irrépressible lui dévorait le ventre. Près de lui, son frère grognait également. Mais bientôt, Athis sentit une odeur familière, comme celle d’un ragoût de sa mère. Les lunes éclairaient un ciel sans étoiles quand il devina, à la manière d’un rêve du Monde, plusieurs voix sur un fond musical. Alors il se redressa, cerné par la lugubre forêt, et fut témoin d’une fantastique, et redoutable, apparition. Parce qu’ils foulèrent les terres du Monde avant l’Homme, les lutins les méprisaient. Rares étaient les textes qui les concernaient, mais ceux-là mentionnaient toujours leur petite taille, et leur bonnet pointu dont ils ne se séparaient jamais. Seul l'unique et épais sourcil qui couvrait leurs yeux était la manifestation de leur pilosité. Et leurs oreilles pointues et longues étaient capables, jusque dans les entrailles du Monde, d’entendre les démons des Âges Premiers. Mais c’était toutefois leurs nombreuses dents acérées qui donnaient à leur sourire son expression de méchanceté. Expression qui contrastait avec leur bonhomie naturelle, et leur ventre volumineux qu’ils prenaient plaisir d’arborer. Néanmoins, cette apparence manifestait les désirs refoulés du petit peuple des forêts… A présent, de nombreuses petites huttes avaient surgi de terre. Suspendus aux arbres qui délimitaient la clairière, des lampions créaient une atmosphère de fête champêtre. L'ébènien ne tarda pas à se redresser également. Emerveillé aux côtés de l'épéiste effrayé, tous deux observèrent les petits êtres qui les ignoraient. Plus loin devant eux, un énorme banquet se préparait où divers musiciens se laissaient aller selon leur inspiration. Et près de torches flamboyantes, sur des braises crépitantes rôtissaient plusieurs pièces de gibier. Les fumets allaient à la guise du vent qui caressait tendrement la clairière. Ce fut certainement pour cela que Boucq-Meter se réveilla en sursautant. L’odeur lui avait chatouillé le nez, et un gros appétit avait alimenté sa faim frustrée. Instinctivement, Athis lui conseilla de rester discret. Maintenant, partout dans la clairière, des lutins se matérialisaient bruyamment. Certains naissaient dans un parterre de fleurs quand d’autres préféraient les branches des arbres. Il en eut un qui apparut sur les jambes d’Athis. Mais, conscient du danger qu’ils encourraient, ce dernier garda son sang-froid et ne broncha pas. Ainsi le lutin s’en fut tranquillement, sans se soucier des jeune gens. Cependant, l’un d’eux apparut sur Avanna endormie qui hurla brusquement en agitant les jambes et les bras. Et alors, une douzaine de lutins cessèrent leur activité pour former une ronde autour de l’apprentie sorcière, et se mettre à chanter : « Fraîche telle la rosée, belle comme une fleur, Fuyant la forêt et ses visions d'horreur, Elle s'est arrêtée, en quête de bonheur. Mais qui l'a invité à venir à cette heure ? demandèrent-ils aux autres lutins de la clairière qui les regardaient danser. -– Est-ce toi ? reprit en chantant l’un de ceux là. – Est-ce toi ? enchaîna un autre qui se tenait près du feu. – Est-ce toi ? répéta un dernier qui parut étonné. – Mais qui est-ce alors ? reprirent en chœur les lutins de la ronde. – Est-ce toi ? Est-ce toi ? Est-ce moi ? Mais non ! » s’exclama la clairière toute entière. Mais à ce moment, les tambours tremblèrent sombrement, et les violons se firent plus grinçants. Soudain l’ambiance de fête sombra dans un crépuscule sinistre quand des lutins s’approchèrent d’Athis, de l'ébènien et de Boucq-Meter. Et ce ne furent pas les « Qui est-ce ? Qui est-ce ? Qui est-ce ? » qu’ils psalmodièrent sur le rythme impie de leur musique, qui rassurèrent les jeunes gens quant à leurs intentions. Les lutins formèrent une nouvelle ronde autours des trois compagnons, et les deux troupes se mirent à danser. « A l'heure du repas, le roi n'affectionne pas D'être dérangé par plusieurs étrangers. Vous semblez avoir faim, et cela tombe bien, Jusqu'à demain matin, de belles miches de pain Accompagneront, ce que nous offrirons. Mangez ! Mangez ! Terminez vos plats ! firent-ils la voix emplie d’une menace latente. – Craignez notre roi !» reprirent en chœur les lutins de la clairière. Et ainsi, sur cette dernière rime, les infortunés voyageurs furent conduits vers la grande table près des bûchers. De son fauteuil tressé dans les branches d’un arbrisseau à l’écorce blanche, le roi des lutins regardait ses invités en fronçant son broussailleux sourcil. Ses vêtements, taillés avec goût dans un tissu violet pâle, laissaient apparaître son ventre de taille conséquente, et le bonnet d’un vert jade exquis qui le coiffait s’achevait par trois pics courbés. Il sourit à l’ébènien lorsqu'il remarqua que ce denier l'observait à la dérobée, et découvrit deux rangées de petites dents pointues et dorées. « Un lutin qui se respecte, ne peut supporter à ses côtés, un estomac qui puisse être affamé, fit-il alors avec cérémonie. Cependant, nous, roi Boniface, ne pouvons tolérer de voir vos pas et corps, saccager nos splendides jardins. Ainsi, vous aurez autant de plats que de fleurs écrasées, il est dit ! Et tâcher de tout terminer. Aimerions-nous être contrarié ? demanda Boniface en s'adressant à ses sujets. – Non, il n’est pas beau de voir le roi courroucé ! » répondirent-ils tous terrifiés. Alors le roi fixa Athis dans les yeux, et il sembla au jeune homme que, autour de son fauteuil, tout s’assombrissait comme s’il absorbait la lumière et les couleurs. Et voici que de toutes les huttes, sortirent des lutins portant à bout de bras, de lourds plateaux. Ainsi, ils posèrent sur la table des plats mijotés, de grosses pièces de viandes rôties et grillées, des légumes frais et dodus, de même que des fruits aux formes incongrues. Et des tonneaux de vins, d’énormes miches de pain, des seaux de bière ambrée, et des beignets dorés. Voici la clairière rapidement parfumée des fumets du banquet, et aucun des voyageurs ne put s’empêcher de saliver. « Nous sommes invités, mangeons ! » s’exclama Boucq-Meter qui, voyant l’entrain avec lequel son frère mordit dans un morceau de fromage, se régala en claquant sa langue contre son palais lorsque ses dents actives le lui permettaient. L’ébènien qui savourait également de délicieux plats mitonnés, leur servit de nombreuses chopes de vin. Et lui aussi contenta avec soulagement, l’appétit qui le démangeait. Maintenant, le roi mangeait, buvait et chantait en compagnie de ses sujets attablés. Tandis que certains jouaient une musique entraînante, d’autres continuaient d’amener des plateaux qu’ils déposaient sur la table. Athis cherchait désespéramment une solution pour faire disparaître la nourriture cependant qu’elle s’amoncelait. Il observa Avanna tentée par des beignets, tandis que Boucq-Meter continuait inconsciemment de manger. Il vit soudain l’ébènien se lever discrètement, et se diriger nonchalamment vers leurs affaires. Celui-ci revint rapidement avec sa besace, et jeta à l’intérieur, saucisson, viande séchée, petits pains et lard… « Mais bien sûr ! » pesta Athis intérieurement. Le roi Boniface se mit à ricaner. « Prends garde à tes actes, ou cela te perdra. Et il se pourrait que la fin que tu souhaites ne soit pas celle que tu crois…» dit-il au maître-au-dragon, depuis le bout de la table. Mais parce que Boniface ne vit aucun inconvénient qu'ils fissent de son repas leurs provisions, les trois autres imitèrent l’ébènien. Toutefois, un problème demeura quand panses et sacs furent pleins, le banquet avait à peine été entamé. L'ébènien jeta discrètement un bout de viande à son dragonnet qui dormait en retrait. Celui-ci l’engloutit d’un trait, et se recoucha dans l’herbe, la tête entre les pattes. Son maître lui envoya peu de temps plus tard, un gros morceau de volaille qu’il goba également... À présent, Boucq-Meter qui avait un gros appétit commençait à être essoufflé. Athis, quant à lui, tassait le plus de nourriture possible dans ses poches. Croquant dans un morceau de pain, il observait le maître-au-dragon assis plus loin. Lui aussi mangeait comme il pouvait, mais il devina sur son visage, des traits inquiets. « Il va vomir » prédit l’épéiste quand soudain, il le vit sourire. Derrière lui, Ilim-Wàl se dressa dans un terrible rugissement qui couvrit la musique de la clairière. À la lumière de lampions de fête champêtre, la peau du dragonnet se déchira du bout de sa queue jusque sur le haut de sa tête. Et dans une épouvantable confusion, les lutins détalèrent en poussant des cris de panique. Seul le roi Boniface, resté dans son fauteuil, riait aux éclats. À présent, une odeur révoltante s’échappait des multiples peaux mortes d’où était sorti un dragon terrible et imposant. L’estomac d’Avanna fut pris de convulsions, et malgré elle, l'apprentie sorcière vomit parmi les restes du repas. Maintenant, le roi s’esclaffait tandis qu’Ilim-Wàl engloutissait ce qui se trouvait sur la grande table. Lorsqu’il eut terminé, le dragon repu se retira pour s’allonger entre les huttes. Et les lutins affolés, revinrent alors vers leur roi. « Vous prendrez bien un petit digestif, n’est-ce pas ? » proposa Boniface à ses invités. Mais voici que par leur mine fermée, les voyageurs signifièrent leur intention de refuser. Libérés d’un piège, ils préféraient tenter leur chance dans la forêt. Le roi des lutins fut momentanément interloqué, mais la colère ne tarda pas à assombrir le haut de son visage. « Vous n’oseriez pas ? Votre bête a mis notre clairière dans un piteux état ! C’est une sommation, il est dit ! » s’écria-t-il en fronçant son gros sourcil. Ainsi, après qu’ils eurent redonné à leur village sa splendeur perturbée, quatre lutins emmenèrent les voyageurs infortunés dans le fond de la clairière. Là, se trouvait un lugubre chapiteau. Des branches d’arbres épouvantables le soutenaient, et la brume grisâtre de la forêt l'enveloppait. « Pourquoi ne fuyons-nous pas ? chuchota le maître-au-dragon à Athis. – Ici nous ne pouvons rien faire », lui répondit-il alors qu’ils pénétraient sous l’immense tente, guidés par le roi et ses sujets. A l’intérieur, des torches plantées à terre prodiguaient une ambiance de cérémonie. On fit également entrer le dragonnet au ventre gonflé, tandis qu’on les installait sur de hauts bancs de bois disposés face à une table. « Restez-là ! » ordonna alors le roi avant de sortir en laissant deux gardes à l’entrée, qui toisèrent le dragon avec méfiance. « Sur leur territoire, jusqu’à ce que le soleil apparaisse, nous sommes à leur merci, dit alors l’épéiste. – Sont-ils aussi redoutables que cela ? demanda le maître-au-dragon – Ce qui est ici est sous leur contrôle, intervint alors Avanna. C’est pourquoi nous n’avons rien vu. Tout est apparu en même temps qu’eux. C’est bien plus que de la… – Ils viennent », les coupa Athis. Le roi Boniface revint, satisfait de porter le plateau qu’il tenait à bout de bras. Une carafe raffinée aux courbes élancées, contenant un liquide foncé, y était posée ainsi que plusieurs petits verres. Le roi déposa le plateau sur la table, à côté d’Athis, et trottina à son extrémité pour revenir s’asseoir sur une chaise haute face à l’épéiste. Plusieurs lutins entrèrent sous le chapiteau avec une gamelle lourde et pleine du même breuvage que la carafe. Ils s’en allèrent pouffant sous l’effort, la porter près du museau ronflant du dragon endormi. Le roi claqua dans ses doigts, l’un de ses sujets apparut sur la table, et servit la mystérieuse boisson. La voici chaude, et son parfum inspirait de douces pensées ! Lorsqu’il eut servi tout le monde, le lutin disparut en emportant carafe et plateau. Et Boniface réjoui, se leva sur sa chaise. « Ne tardez pas trop à le consommer... A votre santé ! » dit-il avant de boire son verre d’une traite. Toutefois, son entrain disparut rapidement, quand il surprit ses convives renifler la liqueur. Dépité, il s’assit pour les observer. Avanna était intriguée par l’odeur de la boisson, parfumée comme un mystérieux bouquet de fleurs ; chaude, son parfum inspirait de douces pensées. Et quelque chose d’hypnotisant se dégageait de sa tiédeur. « Rien ne peut sentir aussi bon et être mauvais ! » songea-t-elle alors qu’elle succombait aux charmes des volutes blanches de son verre. Mais derrière eux, Ilim-Wàl émit un brusque grognement. Inquiets, les voyageurs se retournèrent pour le voir laper sa gamelle avec empressement. Finalement, le dragon releva la tête pour observer son maître, avant de se recoucher en ronflant paisiblement. Et voyant Avanna goûter à son verre, l'ébènien but le sien d’une traite également. Contrairement à ce que lui promettait son parfum, la boisson était insipide et sirupeuse. Elle excita légèrement sa gorge en descendant jusque dans son estomac. Le maître-au-dragon se sentit subitement léger et il lui sembla qu’un coup de vent aurait pu l’emporter. Toutefois l’atmosphère dans le chapiteau se mit à rayonner, et tout lui parut plus éclairé. Le roi des lutins souriait béatement… Dès l’instant où sa langue avait lapé le breuvage, la vision d’Avanna avait brutalement changé. Tout, devant elle, s’était effrité en une fine pluie de sable scintillant. Et seules persistaient, tenaces, les silhouettes pailletées de ses compagnons. Athis, quant à lui, tournait la tête de tous les côtés. La fine lame de Garouhane poussa soudainement un hurlement en sautant du banc. Le malheureux avait posé son regard sur son frère endormi sur la table, quand cette image avait envahi un millier de fois son esprit. Mais à cet instant, l'ébènien fut pris d’un violent hoquet, et ne perçut plus que des instantanés de la réalité. Ainsi vit-il en images saccadées, un lutin entrer sous la tente en courant le ventre en avant. « … altesse … problème … jonquelifér ... devriez … rendre … constater… des dégâts ? dit-il affolé à son roi. – ... bien il … que … soit notre … aujourd’hui, répondit alors le roi. … devoir … nous … fit ce dernier en sautant à terre. … Vous … buvez … saoul … quitter … clairière … son nez ! » cria-t-il en s’éloignant vers la sortie, accompagné de tous ses sujets. Dès lors, une ambiance suspecte régna sous le chapiteau. Le maître-au-dragon vit les flambeaux laper l’air comme des langues démoniques, et il devina une peur indicible, de celles qui précèdent les instants tragiques. Soudain, il eut un effroyable craquement… Quelque part sur Vétona, une sombre silhouette avançait d’un pas décidé dans l’une des rares grottes qui, depuis l’Alliance, avait subsisté. La longue et riche tunique pourpre qui l’habillait, jurait avec la rugosité et la brutalité des tons de la caverne. Point de visage sous son immense capuche, à l'instar de ses bras et ses mains invisibles sous ses larges manches. Outre les obscurités, il était un brouillard qui gravitait autour d'elle. Une nébuleuse vivante animée d’une volonté indépendante. La silhouette s’arrêta là où la lumière du soleil éclatait dans la grotte. Soudain, dans un « pop » retentissant, apparut devant elle un lutin coiffé d’un bonnet vert à trois pics. « Quel dommage que vous ne puissiez comme nous, profiter de ce beau temps, grinça Boniface en se dirigeant vers une table et deux bancs de pierre aménagés dans un coin sombre de la grotte. – On vient de m’informer de l’arrivée de nouveaux prisonniers, fit le sombre personnage en s’asseyant. – De nouveaux voyageurs, répondit Boniface en caressant son ventre. Une piètre apprentie sorcière, un Premier égaré sur notre île. Et un pathétique épéiste de cité jaloux d’un ébènien et de son monstrueux dragonnet. – Enfin…il s’est éveillé… songea l’autre dans le néant de son capuchon. A nouveau nos projets ont manqué d’être compromis par l’intrusion de groupes isolés ! reprocha-t-il ensuite au lutin. – Rien de tout cela ne serait arrivé, si vous nous aviez écouté, se défendit alors le roi Boniface. Vous auriez dû tester ces maléfices en des lieux plus éloignés. – Que cela ne se reproduise plus, répliqua le sombre personnage en se redressant. Sinon nous serons contraint de revoir nos engagements. – Revoir nos engagements ? Il nous semble que vous omettez un petit détail, répondit le petit être avec condescendance. Nous quittons vos sombres lieux, continua-t-il en ricanant. Les prisonniers sont maintenant sous votre responsabilité, il est dit ! » fit-il en se laissant glisser du banc. Ainsi, le roi Boniface prit congé, et disparut. Le mystérieux homme resta à côté du banc, jusqu’à ce que le départ du lutin finisse de se répercuter contre les parois de la grotte. Il s’enfonça ensuite vers ses recoins les plus sombres. Plus loin dans les ténèbres, il parvint bientôt à un escalier, taillé dans la roche, qui s’enfonçait au plus près du cœur du Monde. Plus tard, il atteignit une portion où ledit escalier faisait un palier avant de reprendre sa dénivellation sur sa droite. Ici, la majeure partie d’une cité ignorée des humains de la surface, s'offrit aux yeux de son sorcier. Jadis, il avait patiemment escaladé les strates inférieures des entrailles du Monde depuis qu’il avait passé la porte qui s’ouvrait sur les terres inhospitalières qu’un ciel rouge dominait. Peu l’avait explorée, et Thanatlòn était cette contrée qu’il avait quittée. Mais devant lui, l’empilement de tonnes de pierres en un titanesque imbroglio de constructions, écrasait par sa réalité toute reproduction imaginaire. Ainsi, il rentrait présentement d’un voyage qui l’avait éloigné des pierres immémoriales qui, des âges durant, l’avaient abrité. Et la volonté qui lui avait permis de vivre de si longues années allait enfin être récompensée par la concrétisation d’un projet sagement mené. « Bientôt, l’Œil Rouge du Dragon sera en notre possession», songea-t-il alors.
24 mars 2009

Chapitre IV

Rencontre funeste hors des sentiers d’une lugubre forêt. De l’incroyable capacité du dragonnet. Parfois, le soleil éclatait parmi la brume grisâtre comme de multiples lances d’or, et révélait des visages affreux de la masse végétale. Son atmosphère était un bouillon de senteurs que chaque corps, vivant ou mort, exhalait. Une ombre planait au-dessus de leur tête, et le bourdonnement des insectes et les stridences des chants étaient un pandémonium grotesque. Et les crachouillis, les grattements et les courses de créatures mystérieuses et invisibles, étaient de nature angoissante. Ainsi, plusieurs nuits étaient passées depuis que les compagnons de Garouhane cheminaient dans la lugubre forêt. Et une ombre planait au-dessus de leur tête. « Ca fait quatre jours que nous avons perdu ces maudits sentiers, et toujours rien. Et ce brouillard… se plaignit à un moment, le maître-au-dragon en ramenant sa pèlerine contre lui. – Reste vigilant et avance ! » le somma Athis de mauvaise humeur. Boucq-Meter et Avanna suivaient, sans un mot, les deux jeunes hommes à travers les entrelacs de branches et de ronces. « Je ne suis pas sous tes ordres », bougonna finalement l'ébènien en caressant ses côtes aux souvenirs douloureux. Réalisant combien l’atmosphère particulière de ces forêts pouvait être nocive pour l’esprit, Boucq-Meter trotta jusqu’à son frère, et lui passa le bras sur les épaules. « Voici finalement l’heure de nos aventures. N’es-tu pas excité d’être là ? Pouvait-on espérer meilleur prélude que la traversée de ces bois? – L’endroit rêvé, admit sarcastiquement le maître-au-dragon en retrait. – Et qui sait, un jour peut-être, notre quête sera chantée sur les vallons fleuris des Grandes Plaines ? Héros promis aux tertres boisés de Pelimfor, poursuivit le colosse en semblant admirer l’image de son fantasme. – Ca serait plaisant, approuva Athis en souriant également. – Sans oublier le dragon, l’ébènien et la fabuleuse sorcière qui seront aussi de votre chant, s’exclama Avanna derrière eux. – Encore faut-il qu’ils soient de notre côté, rétorqua Athis en toisant l'étranger. – Tout va bien se passer, le raisonna alors son frère. Seuls les exploits héroïques sont éternels. « Parce qu'ils ont décidé de partir, les Premiers demeurent dans nos souvenirs. Parce qu'ils ont bravé milles dangers, nous ne les oublierons jamais. Mynia et Narya ont vu du ciel, des actes de bravoure éternels. Depuis, quand vient le noir, elles s'illuminent d'espoir. La vie de paysan n'est rien au milieu des Grands. Seuls les exploits subsistent comme les jumelles du firmament... » récita solennellement Boucq-Meter. – Et bien, je me serais contenté de ta vie de paysan, marmonna l’ébènien en observant Avanna qui fredonnait discrètement. Loin de moi l’idée de douter un instant du bon sens de ton père, mais pourquoi n’est-il pas ici avec nous ? Il est bien la seule personne à avoir mis les pieds dans cette cité, non ? – Et il abandonnerait Garouhane », répondit l’apprentie sorcière en soupirant. Puis, allongeant les pas, elle dépassa l’étranger, exaspérée devant sa naïveté. Tout à coup, Boucq-Meter se figea, et tendit l’oreille. Son frère l’imita immédiatement en tirant son épée. Le maître-au-dragon fit seulement mine de prendre l’air grave. Et ce ne fut que lorsqu’il vit Avanna mettre une flèche à son arc qu'il réalisa l’imminence du danger. « Que se passe-t-il ? – Chut ! le somma Athis. Plus rien ne bougeait dans la forêt, et les obscurités devinrent subitement plus denses, et l'angoisse mua en silence. Le vent même avait cessé d'agiter les plus hautes branches. L’épéiste pointait son arme en direction d’un sombre buisson de ronces quand brusquement, une créature difforme surgit d’un fourré. « Garouark ! » hurla le jeune homme en évitant sa ruade. La bête fit une rapide volte-face, et déboula sur le colosse qui s'était calé sur ses jambes en serrant résolument son épée. Mais Boucq-Meter fit irruption et le bouscula brutalement. « Je le veux, il est à moi ! » hurla-t-il en se jetant en avant. Et il asséna la bête de puissants coups de sa hache meurtrière. Toutefois, l’affreuse apparition, grosse comme un veau, résista rageusement, calée sur ses six pattes. Ses dents grotesques dépassaient de ses hideuses babines d’où pointait un museau poilu et bubonneux. Ce terrifiant assemblage organique se parachevait d’une queue hérissée de pointes urticantes contre laquelle Athis luttait avec peine. Efficace et froide, Avanna décocha plusieurs flèches qui se fichèrent dans son corps. Seul le maître-au-dragon, pétrifié, ne fit rien. Jamais il n'avait songé que les courbes d’une créature puissent transpirer d’autant d’épouvante. Ainsi il existait des êtres qui exsudaient leur nature. Il réalisa alors qu’elle pouvait être l’atmosphère des combats que le Doyen avait mentionnés, et il entendit les Mogoths chanter en déferlant à travers la forêt. Les yeux de la bête… Oui, son regard brillait d’une lueur hypnotique. Deux disques luisants, dorés et flamboyants. Dormir… Non, regarder. Ne pas bouger. Attendre… Evitant une dangereuse ruade de la monture des hordes infernales, Boucq-Meter alla le trouver et le secoua violemment. « Jamais vous ne le regardez dans les yeux, jamais. Croisez son regard, et vous mourrez », lui expliqua-t-il tandis qu'il le fixait hébété. Hélas, ce fut à cet instant qu’un autre garouark surgit d’épaisses broussailles, et vint le percuter alors qu’il s’était interposé entre lui et l’étranger... Ainsi, au milieu d'une lugubre forêt masquée de voiles épais, Boucq-Meter était assommé contre un arbre. Le maître-au-dragon avait pris la fuite en pénétrant profondément dans le brouillard. Mais bientôt, le cri d’une femme saisit le fuyard. Un puissant coup de queue du second garouark, avait abattu l’apprentie sorcière. Agacé, le maître-au-dragon tira de leurs fourreaux ses deux épées. Puis, serrant ses mains gantées sur leurs poignées, il avança discrètement vers la créature. Ce garouark-ci était une femelle, bien plus grosse que le mâle qui ruait sauvagement sur Athis. Elle labourait le sol de ses pattes griffues en semblant le défier. L’ébènien emboîta ses lames mais se refusa de la regarder. Sans plus attendre, la bête se jeta nerveusement sur le jeune homme, soulevant poussière et terre. Avec un curieux sens du combat, le maître-au-dragon asséna méthodiquement, le garouark de coups. Et faisant un rapide roulé boulé qui l’expédia directement sous son ventre, il lui enfonça son arme entre ses mamelles. La créature vomit un hurlement que le brouillard absorba. Mais dans un excès de rage, elle jeta l'ébènien contre un arbre qui, désarmé, vit alors la mort se précipiter vers lui en beuglant sauvagement. Tout à coup, un effroyable rugissement fit trembler les arbres, et paralysa les garouarks quand d’entre les troncs surgit un terrifiant dragon. Ses attitudes étaient agression tandis que son faciès perfide était un poison pour la raison. Façonnage cauchemardesque de rage, il semblait redoutable, agile et affamé. Quand la femelle garouark le vit étendre son cou en ouvrant une terrifiante bouche pleine de flammes, elle hésita à fuir. Mais le dragon lui sauta sauvagement à la face sans plus lui laisser de chance. Au même instant, Athis poussa un cri. Contre la terre d’un arbre déraciné, il massait ses côtes blessées. Le premier garouark se précipitait pour l’achever, quand miraculeusement, Boucq-Meter remis de son choc, s’interposa en assénant le flan de la créature d’un puissant coup de hache. Toutefois, d’une violente ruade le garouark l’expédia à nouveau dans les broussailles. Mais soudain, le monstre s’écroula en émettant d’affreux gargouillis absorbés par la forêt. A ce moment, retentirent les derniers mots du sort qu’Avanna finissait de chanter. Dans la discrétion du brouillard, Ilim-Wàl reprit sa taille ordinaire. A ce moment, il vint docilement frotter sa tête contre les jambes de son maître. Leur visage à tous était marqué par l’épuisement. Et voyant venir à eux l'étranger et sa bête, Boucq-Meter avança lourdement dans leur direction. « Vous m’avez impressionné, maître, lui dit-il alors. – C’était avant ou après qu’il n’ait fui ? demanda Athis en nettoyant la lame de son épée sans quitter le dragonnet des yeux. – Il est revenu. – Avanna a raison, acquiesça le Premier. – Ton dragon, poursuivit l’épéiste, un manuscrit dans la bibliothèque du Doyen fait mention de l’histoire des rois d’AeternTerra, et d’une terrible malédiction. Ta bête est semblable à une race disparue depuis des âges... Des dragons légendaires mais maudits. – Je le trouve pas mal, conclut Avanna en souriant au dragonnet. – C’est ça… Hâtons-nous de quitter ces lieux, avant qu’ils n’attirent d’autres créatures plus horribles encore, épilogua Athis en cherchant sa besace. – Mes provisions ! » s'écria le Premier. Et Athis et le maître-au-dragon furent également dépités lorsqu’ils constatèrent que leurs besaces avaient été vidées. Ainsi, démoralisés, tous reprirent leur chemin à travers la forêt. Attentifs et silencieux, ils marchèrent longuement parmi une végétation bourdonnante de vie malsaine. « L’aurais-je un jour contrarié ? Cette cause n’est-elle pas juste et noble ? » songeait Athis en conduisant ses amis au travers des racines hautes et des lianes épaisses entrelacées devant lui. Boucq-Meter qui observait ses compagnons muets, surprit le regard triste de son frère. Et il savait combien il avait attendu une occasion pour que la cité reconnaisse sa valeur. D’ailleurs, lui-même souhaitait que cette quête les mène au plus près des exploits des hommes d’antan. «Ne désespérons pas, nous sommes dans une forêt, nous trouverons bien de quoi manger. Ne laissons pas la fatigue et la brume prendre le dessus sur notre moral. Nous sommes vivants, c’est le principal ! » dit-il alors afin de soulager ses compagnons. Ces derniers s’accordèrent immédiatement à dire qu’il tenait là de bien belles paroles. Dés lors, allégés par leurs futiles babilles, ils poursuivirent leur chemin en direction du nord-ouest…
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