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L’Œil Rouge du Dragon
24 mars 2009

Chapitre III

Intuitions de maître An-Drena à l’égard de l’ébènien. Départ de ce dernier et de son dragon, en compagnie d’Athis, Avanna et Boucq-Meter pour la cité sacrée. Brillantes de bienveillance, les lunes jumelles dans le ciel sombre et étoilé, observaient le Protecteur sur les sentiers de sa cité. Sachez que dés l’instant où maître An-Drena avait franchi les portes de Garouhane pour mener ses hommes à la victoire contre les Mogoths, pas un homme n’avait cessé de le remercier. Depuis ce terrible épisode, des générations étaient passées, et le sage homme avait veillé sur elles et leurs descendances. Telle était sa responsabilité à l’instar de l’un des arbres séculaires qui abritaient en son sein une famille entière. L’Alliance avait été synonyme de renaissance pour les hommes de Vétona. Livrés à eux-mêmes depuis la disparition des sorciers, ils avaient bâti parmi des sylves inhabituelles et abondantes, cinq nouvelles cités où ils prospérèrent de très longues années. Toutefois, si l’île avait été recouverte d’une végétation née de sa terre, elle le fut également de son passé. Ainsi, des créatures des Âges Premiers réinvestirent les forêts. Voici comment, vingt dragonnades après l’Alliance, les hommes de la Terre Boisée furent sauvagement attaqués par des créatures colossales et sombres, aux origines plus obscures et profondes. Une nuée implacables de Mogoths qui chevauchaient garouarks et Serpentèrs, et qui psalmodiaient un hideux hymne à la guerre. Et les cités luttèrent vainement, mais leur volonté ne fut pas suffisante devant la brutalité démente des nombreux guerriers chantants. Voyant venir la fin, les hommes tournèrent vers l’Ordre, une dernière prière. Cet ultime souhait devait être rapidement exaucé, car voici, aux portes des cinq cités, se présenta un sorcier aux cheveux dorés. Armés d’un bourdon où luisait une pierre sacrée, ils menèrent les hommes et défirent les Mogoths qui ne réapparurent jamais plus. Maître An-Drena avait été l’un de ces sorciers revenus parmi les hommes afin de les protéger. Et comme cinq autres, il avait été instruit dans le secret du Monde et de la cité sacrée où siégeait le Grand Conseil de Sorcellerie autour du Grand Mage. Il était le Filleul de Fòwood l’un des six Fils, la progéniture des trois Dragons-sage… L’arbre du Doyen était un fabuleux spécimen. Son tronc démesuré avait été le témoin de milliers d’années. Mais pas d’écorce sur le tronc nu et blond, non, son aspect grotesque et lisse accentuait sa forme torturée. Dépourvues de feuille, ses branches semblaient à des doigts crispés et épais. De fait, le tronc n’était qu’un puit de lumière dans la demeure du conteur. Toutefois, en cette heure avancée de la soirée, ce dernier avait allumé nombre de chandelles pour le confort de ses invités. Le bois était le principal composant du mobilier. Un bois doux et blond, légèrement parfumé. La pièce ouverte sur le ciel étoilé, était vaste et chaleureuse. Une table imposante en occupait le centre tandis que les coins étaient garnis de lourdes étagères chargées d’objets à la fonction indéterminée. Plusieurs passages voûtés permettaient l’accès à d’autres pièces. Néanmoins, la plupart était les interminables rayons de la fabuleuse bibliothèque du conteur, qui utilisait les racines principales de l’arbre pour s’épanouir. A présent, l’ébènien se trouvait assis à l’extrémité d’un long banc aux côtés du Doyen. Tous deux regardaient Ilim-Wàl qui dévorait avec une gourmandise non réprimée, le contenu d’une large gamelle. « Mais avant ces batailles contre ces terribles Mogoths, où étaient-ils passés ? demanda le maître-au-dragon en se tournant vers le Doyen. – Avec le Grand Mage, je pense. Durant ses voyages à travers le Monde, répondit évasivement le vieil homme en fixant Ilim-Wàl à leurs pieds. Aucun d’eux n’aime parler de leur première existence. Ceux d’avant l’Alliance étaient différents en cela. Oui…ils vivaient en communauté sous la coupe des trois Dragons-sage, les descendants directs de l’Unique. – C’est d’ailleurs par trois d’entre eux que Mélane a été élevé avant qu’il ne devienne Mélane-Atrisse lors de l’Alliance. – C’est cela même, maître, répondit le Doyen dans un sourire timide. Les avez-vous appréciées, mes histoires ? – J’ai beaucoup appris, en effet, le remercia l’ébènien pensif. Alors les Fils des Dragons-sage se sont liés avec les Protecteurs des cités. Tous viennent de la cité sacrée où siège le Grand Conseil de Sorcellerie, composé des sorciers des confréries liées aux trois Dragons-sage. – Tout a fait, mais seules deux d’entre elles subsistent encore, intervint le vieil homme en opinant de la tête. Combien d’hommes sont nés depuis que Sigùr parcourt Pelimfor ? – Cette cité d’O semble très importante, n’est-ce pas Ilim-Wàl ? » demanda le maître-au-dragon quand la créature étendit son cou dans sa direction. Le Doyen observa avec tendresse, l’étranger prodiguer des caresses au jeune dragon. Bientôt, à sa grande surprise, son regard se chargea de nostalgie. Il aurait pu ainsi, succomber aux tentations frivoles des images du passé, mais un regard volé au dragon l’enchaîna à la réalité. « Ainsi c’est là que vous avez décidé d’aller ? demanda-t-il alors à l’ébènien. – J’espère seulement y trouver ce que je cherche, sinon, d’autres informations, lui répondit le jeune homme sans le regarder. – Hum…oui, je m’en doutais », avoua sombrement le vieillard. Le maître-au-dragon sourit. Avec le bout des doigts, il frotta énergiquement la gueule de sa bête qui enroula affectueusement son cou à son bras. L’ébènien se retourna finalement vers le Doyen. « Dites, vieil homme, vous ne croyez toujours pas que je suis responsable de ce que vous m’avez montré ? lui demanda-t-il tout en sourire. Je ne suis pas là pour ça. – Non…ce n’est pas ce que je dis, répliqua calmement le conteur d’une voix profonde. Mais le fait est qu’il n’y a pas de contingence dans l’Ordre du Monde. Et je crains que votre présence ici, dans cette cité en ce jour même, ne puisse ne pas avoir de conséquence. – Vous savez ce que je cherche, n’est-ce pas ? lui demanda alors le maître-au-dragon l’air entendu. Oui, vous connaissiez son nom, et je ne suis pas certain que ce soit Basth qui vous l’ait dit. Non… Mais que craignez-vous ? – Je suis l’un des rares à connaître encore ce dragon, je l’avoue… Et pourtant, vous… » Mais à ce moment, le claquement de plusieurs pièces de bois retentit dans la pièce, et interrompit le vieil homme. Levant les yeux dans l’ouverture béante au-dessus d’eux, le Doyen et l’ébènien virent descendre par l’escalier en colimaçon apparu à l’intérieur du tronc, maître An-Drena, le Protecteur de Garouhane. A présent, l’ébènien regardait le sorcier aux cheveux dorés observer son dragonnet avec intérêt. Le Doyen et lui, accoudés tous deux à la table, scrutaient les moindres expressions de son visage aux traits aimables. Sa barbe dorée et longue ne laissait pas transparaître son grand âge, et ses yeux pétillaient encore d’une puissante lueur. Il avait posé son bourdon surmonté d’une pierre laiteuse sur le plancher, sans autre distinction. Et comme à son habitude, le sorcier portait son inusable tunique faite d’une épaisse étoffe brune, liserée de vert en qualité de motifs de lierres. Sinon, rien n’aurait pu le différencier d’un homme de Garouhane, hormis sa chevelure flamboyante qui encadrait son visage d’un halo de lumière. « Ainsi vous êtes le maître-au-dragon, dit le Protecteur en se tournant enfin vers l’étranger. – Et vous êtes le sorcier de la cité », lui répondit-il non sans le gratifier de l’un de ses fameux sourires. Jadis, cet homme avait affronté les armées d’obscures forêts, il avait dû voyager dans le Monde, et surmonter de terribles épreuves afin d’être digne de se lier à l’un des Fils et d’accéder au rang de sorcier. Tout cela, le jeune homme se l’imaginait. Etait-ce alors sa voix calme et creusée par les générations de sa longue vie qui l’entourait de mystères ? Maître An-Drena vint finalement s’asseoir en face de l’ébènien et du Doyen. Ce dernier remplit son gobelet d’une boisson épaisse et parfumée avant d’en proposer à ses deux invités. « Viendriez-vous des terres du sud ? demanda maître An-Drena quand il eut bu une gorgée à son gobelet. – Le Bas du Monde, les Territoires Inexplorés et que sais-je encore…? Je ne pourrais l’affirmer, répondit l’étranger avec malice et légèreté. – Peut-être auriez-vous fait une malheureuse rencontre en nos forêts, et la mémoire parmi d’autres trésors, vous aurait été subtilisée ? Seriez-vous passé par Fest-gor ? Certains sorciers de foires, les meilleurs, sont capables de chanter ce genre de sorts. – Sans vouloir vous manquer de respect, moi il m’importe peu de savoir d’où je viens. Je dois poursuivre mon chemin, celui dont j’ai rêvé avant de m’éveiller sous la terre de votre clairière. – Je serais tout de même curieux de savoir ce que sont vos rêves, intervint à ce moment le Doyen. – Rien qui puisse vous intéresser ou vous concerner. En tout cas, sans rapport aucun avec ce qui se passe avec vos forêts. » Le Protecteur regarda longuement l’ébènien quand il eut fini sa phrase. Loin de soupçonner chez lui une volonté de dissimuler un sombre dessein, il lui parut évident qu’il était encore ignorant de certaines lois et règles qui régissaient la vie à Vétona. « Il ne s’agit pas seulement de nos forêts et nos vergers, lui dit-il alors. A Malvigne aussi, Nature subit d’inquiétantes transformations. – Malvigne, répéta le maître-au-dragon en réalisant qu’il connaissait ce nom. – Oui…reprit le sorcier en restant attentif aux expressions du visage du maître-au-dragon. Par ailleurs, il y a peu de temps, maître Helmygne, Filleul d’Agastyk… – Le Déchu ! intervint sombrement le Doyen. – …a disparu après avoir perdu l’esprit, empoisonné par les relents de leurs forêts, poursuivit le sorcier. Lors de ses derniers jours dans Malvigne, il semblait terrorisé par une force qu’il sentait venir. Rampante, malveillante… » A ce moment l’ébènien fixa le Protecteur, puis s’abandonna à un fou rire irrépressible. Le Doyen d’abord surpris, sembla s’amuser de sa réaction quand il fit plisser ses rides dans un sourire et jeta un clin d’œil à maître An-Drena, stoïque et patient. « Attendez…vous ne pensez tout de même pas qu’il s’agit de moi ? demanda l’ébènien quand il reprit enfin son calme. Je viens à peine d’arriver et je me fais déjà accuser… – Ce n’est pas cela que nous voulions vous faire comprendre, répondit calmement le sorcier. – Alors de quoi s’agit-il ? – Voici, Nature est la manifestation de l’Ordre en ce Monde, sachant que tout ce qui est, s’inscrit dans l’Ordre. – Oui, oui, je sais, le Doyen m’en a vaguement parlé plus tôt dans la soirée. – Mais voilà, en ces lieux précis que sont Malvigne et Garouhane, Nature s’est chargée d’horreur morbide et menaçante, poursuivit maître An-Drena. – Je vois, lui répondit le maître-au-dragon qui en fait ne voyait rien du tout, et commençait même à perdre patience. – Le fait que vous soyez arrivé aujourd’hui, ici, avec ce compagnon, n’est pas dû au hasard. – Où voulez-vous en venir ? lui demanda le jeune homme subitement suspicieux. – C’est simple, si vous tenez à trouver ce que vous chercher, il vous faudra partir en quête de la cité sacrée, conclut le sorcier. – Oui, mais ça je l’avais déjà décidé, répliqua l’ébènien dans un sourire. – Vous ne comprenez pas, ou peut-être ne voulez-vous pas comprendre, mais je suis intimement convaincu que la cité d’O n’est pas votre but, elle sera votre départ. » Le Doyen aux côtés de l’ébènien hochait la tête en signe d’acquiescement. Le sorcier semblait avoir exprimer tout ce qu’il avait tenter d’expliquer à l’étranger sans y parvenir. A présent, le sorcier regardait Ilim-Wàl couché aux pieds de la table. Le dragon leva la tête vers son maître, et ouvrit la gueule dans un bâillement infernal, pour découvrir une terrible langue de flamme. Des volutes de fumée s’échappèrent de ses naseaux, puis il replaça sa tête entre ses pattes. Maître An-Drena leva les yeux sur l’ébènien, et surprit sur son visage, une détermination candide, innocente. « Vous avez rencontré sur le rocher trois jeunes gens, un peu plus tôt dans la soirée ? lui demanda-t-il alors. – C’est exact », confirma le maître-au-dragon avec un sourire moqueur déformant ses lèvres. Toutefois son visage devint dur à l’instant où il caressa ses côtes encore douloureuses. « Ceux-ci doivent partir demain matin pour la cité sacrée, la situation autour de Garouhane devient trop inquiétante pour que nous puissions nous passer des lumières du Grand Conseil de Sorcellerie. – Je vois, fit le jeune homme en se tournant vers le sorcier. Il semblerait que je sois finalement invité à ce voyage. – L’Ordre l’a vu ainsi, répondit le sorcier. – Ou autre chose, intervint sombrement le Doyen. Oui…ce ne doit pas être sans raison qu’un Àrmangon cherche à trouver la cité sacrée. » Ce fut au tour de l’ébènien d’être surpris et d’observer le Doyen. Le sorcier de son côté, opinait de la tête, s’accordant sur ce que le vieil homme venait de dire. « Vous paraissez surpris, maître ? demanda le vieil homme à l’ébènien. Mais oui…je l’ai dit, je suis l’un des rares à me souvenir de ces dragons. – Et il est indéniable que c’est bien vers la cité d’O que vous devez tourner votre quête. Peut-être y découvrirez-vous bien plus que vous ne cherchez », conclut le sorcier. Sur ces derniers mots, le sage homme aux cheveux d’or, ramassa son bourdon, et la pierre de son extrémité se mit à briller de couleurs iridescentes. Puis, sans un dernier regard vers le dragon qui somnolait aux pieds de son maître, il prit congé. « Demain matin, au lever du jour » dit-il à l’ébènien au moment où il gravissait les premières marches de l’escalier en colimaçon apparu à l’intérieur du tronc. Le Doyen invita le maître-au-dragon à passer la nuit chez lui. N’ayant pas d’autre alternative, le jeune homme accepta sans entrain particulier. Rasant les arbres, l’écrin d’éther était rosé quand apparut le soleil. Silhouettes fantomatiques et fugaces, les lunes jumelles s’effaçaient dans le ciel. Ainsi, dans cette partie du Monde, la végétation était brillante encore alourdie par l’aiguail. Et les escargots couraient lentement sur les pierres moussues et âgées de la cité. Mais les oiseaux étaient discrets dans les feuillages des maisons de Garouhane. Toutefois, non loin de l’arbre nu et blond du Doyen, près du passage qu’ouvrait l’immense rocher vers la forêt, maître An-Drena donnait ses dernières recommandations à sa fille Avanna, à Athis et son frère Boucq-Meter. Quant à l’ébènien et son dragonnet, tous deux se trouvaient dans la clairière et jouaient ensemble sans se soucier de ce qui se préparait. Le matin même, le Doyen avait donné à l’ébènien une curieuse paire d’épées aux lames courtes et recourbées. Dépourvues de garde, leurs poignées étaient si longues qu’il aurait été possible de les saisir à quatre mains. Toutefois leur pommeaux présentaient d’étranges encoches. Mais l’ébènien ne se posa pas de question quand il assembla les deux épées, et fit tournoyer son arme transformée en une double lame maniable et meurtrière. « Prenez ceci, maître », lui avait alors dit le Doyen en lui tendant une paire de gants blancs. Jadis, à l’époque où les Premiers et les Dragons-sage entretenaient la Première Entente, un fabuleux papillon volait dans les forêts de Vétona. Les légendes rapportaient qu’il était le guide qui menait jusqu’au mystérieux Champs des Arches, au-delà des Grandes Colonnes. La soie qu’il sécrétait pour son cocon avait pour propriété de devenir tissée, aussi robuste que l’acier. Depuis ces âges immémoriaux, seuls quelques guerriers avisés de la cité de BellyGuèr, étaient encore en possession de tels trésors. Finalement, l’ébènien alla rejoindre les trois volontaires qu’il devait accompagner dans leur périple pour la cité sacrée. Avanna avait passé son arc en bandoulière et jouait avec l’unique flèche de son petit carquois, en écoutant les recommandations du sorcier. Le Premier transportait, passée en bandoulière dans son dos, une monumentale hache de guerre, tandis qu’une autre, plus petite, pendait à sa ceinture. Quant à son frère, épéiste émérite dans la cité, il avait pour unique arme, l’épée étincelante de son défunt père. Vint le moment où le Doyen et une femme les rejoignirent près du rocher. Tous deux portaient des besaces pleines de nourriture, et des pèlerines à la capuche brune. La femme alla directement embrasser Athis en le serrant contre son sein. Dans ses yeux se mêlaient tristesse et fierté. Puis ce fut au tour du Premier d’embrasser sa mère, et une larme perla discrètement au coin de l’œil du colosse. « J’ai confiance en vous, mes enfants. Revenez-moi vivants, dit-elle à ses fils. – Prends garde à ta voix », recommanda le Protecteur en regardant avec douceur, sa fille Avanna qui se drapait de sa pèlerine. Ainsi parés, les quatre voyageurs et le dragonnet s’enfoncèrent dans l’une des forêts qui couvraient cette région de l’Île-aux-sorciers, sans que personne ne sache dire quand il les reverrait…
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L’Œil Rouge du Dragon
  • Je souhaite partager avec vous mon premier roman. Si les elfes, orques, gobelins et autres vous sont familiers, sachez que ces derniers seront absents de l'aventure que je vous propose, en contre partie je vous réserve de belles surprises...
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